Structure cristallochimique des minéraux argileux Evolution en fonction des conditions physico-chimiques du milieu

Evolution diagénétique des minéraux argileux

Cet axe de recherche constitue l’évolution logique de mes premiers travaux de recherche sur l’évolution diagénétique des minéraux argileux (phyllosilicates). Ceux-ci avaient en effet permis, grâce au développement d’un algorithme de traitement numérique (décomposition) des diffractogrammes expérimentaux, de décrire les paragenèses argileuses complexes résultant des processus cinétiques de transformation des minéraux argileux interstratifiés1. Les transitions minéralogiques majeures observées lors de l’enfouissement des séries diagénétiques avaient alors été déterminées (interstratifiés à empilement aléatoire => interstratifiés ordonnés et interstratifiés ordonnés => illite) en prenant en particulier en compte les contraintes essentielles déduites de l’abondante littérature publiée sur le sujet depuis plus de trente ans2 . La modélisation cinétique rigoureuse de ces évolutions minéralogiques et donc la compréhension de leurs implications géochimiques n’avait cependant pas pu être abordée faute d’une définition précise des mécanismes de transformation et des paramètres thermodynamiques de ces réactions.
C’est donc à la définition de ces mécanismes de transformation que je me suis intéressé ces dernières années aussi bien un contexte de géologie sédimentaire que dans celui du stockage de déchets. Dans cette optique, la compétence que j’ai développée vise à permettre la détermination de la structure cristallochimique fine des diverses espèces minérales coexistant et en particulier à caractériser les évolutions minéralogiques naturelles ou celles induites par des perturbations chimiques et/ou thermiques.
Francis Claret, qui a effectué sa thèse sous ma responsabilité, a ainsi consacré une partie de ses travaux à l’étude d’une séquence d’évolution naturelle (Site Andra Meuse - Haute Marne). La description classique d’une transition entre smectite et illite par l’intermédiaire d’édifices interstratifiés de compositions variables a ainsi pu être invalidée par la confrontation quantitative avec les diffractogrammes expérimentaux enregistrés sur ces séries. L’utilisation d’une méthodologie spécifique (multi-specimen technique3 ) a permis de montrer que les échantillons comprenaient systématiquement les mêmes phases (smectite, illite et interstratifié illite/smectite de composition fixe). L’évolution des profils de diffraction des rayons X dans cette série sédimentaire traduit donc la variation des proportions relatives de ces différentes phases avec la profondeur plutôt que l’illitisation progressive d’une phase interstratifiée illite/expansible4.

Fig. 11 Contributions élémentaires permettant de reproduire (trait rouge fin) le diffractogramme de rayons X obtenu sur l’échantillon prélevé à 2170 m dans le puits Carter (Gulf Coast, Tx ; d’après Lanson et al., 2009).

Afin de s’assurer que les résultats obtenus ne résultaient pas de conditions, sédimentologiques par exemple, spécifiques à cette formation, une série diagénétique de référence provenant du Golfe du Mexique a été étudiée de la même manière et des résultats similaires ont été obtenus (Fig. 9)5. En particulier, des paragenèses argileuses originales ont été mises en évidence avec la présence systématique d’illite, de kaolinite, de chlorite et d’un interstratifié où coexistent des feuillets kaolinite et des feuillets expansibles (K-Exp). En contradiction avec les descriptions classiques, les premiers stades de l’illitisation des smectites sont, comme dans le cas précédent, caractérisés par la coexistence d’illite et d’un interstratifié illite-expansible désordonné riche en illite (>50% I). Ces deux phases sont authigènes et se forment dans des conditions de faible enfouissement et basse température. La proportion de l’interstratifié I-Exp augmente avec la profondeur d’enfouissement, pour l’essentiel aux dépens de la smectite. En revanche, la teneur en illite de cet interstratifié désordonné n’augmente que marginalement avec l’enfouissement. Deux interstratifiés illitiques, résultant de processus parallèles d’évolution de ce premier interstratifié I-Exp, coexistent dans les stades de diagenèse plus avancés. Le premier processus implique la dissolution de l’interstratifié initial, désordonné, et aboutit à la cristallisation d’un interstratifié ordonné de composition similaire. L’absence d’illitisation résulte vraisemblablement de la faible disponibilité du potassium. Le deuxième processus implique la croissance de couches d’hydroxydes magnésiens trioctaédriques dans les interfoliaires initialement expansibles. Il en découle la formation de feuillets chlorite di-trioctaédriques (Ch) dans l’empilement I-Exp initial et donc la génération d’un interstratifié I-Exp-Ch. L’analyse des probabilités de succession des différents types de feuillets au cours de la transformation a permis de proposer pour cette réaction un mécanisme feuillet-par-feuillet se produisant à l’état solide. Dans cette hypothèse, la dissolution-recristallisation de l’interstratifié I-Exp initial constitue la source la plus probable du magnésium nourrissant la croissance des couches brucitiques et donc la formation de l’interstratifié I-Exp-Ch. Ces résultats extrêmement novateurs ont permis d’éclairer sous un jour nouveau la problématique, ancienne mais toujours d’actualité, de la diagenèse des sédiments argileux. Il faut noter qu’une récente étude expérimentale a également mis en évidence la succession de plusieurs phases interstratifiées lors de l’illisation de smectites en conditions hydrothermales6. Comme pour les échantillons naturels, la composition (teneur en illite) de ces différentes phases interstratifiées évolue peu avec l’avancement de la réaction qui se traduit esentiellement par une évolution des proportions relatives des différents interstratifés.


1 Lanson & Champion (1991) Amer. J. Sci., 291, 473-506. Lanson (1997) Clays & Clay Miner., 45, 132-146.
2 Meunier et al. (2000) Clay Miner., 35, 573-586.
3 Drits et al. (1997) Clay Min., 33, 97-118. Sakharov et al. (1999) Clays & Clay Min., 47, 555-566.
4 Claret et al. (2004) Clays & Clay Min., 52, 515-532.
5 Lanson et al. (2009) Amer. J. Sci., 309, 479-516.
6 Ferrage et al. (2011) Amer. Miner., 96, 207-223.

Barrières argileuses

Le modèle structural original proposé pour les minéraux argileux du site Meuse – Haute Marne a ensuite pu être intégré dans une étude de leur stabilité chimique et thermique réalisée avec le soutien de l’Andra (Thèses Francis Claret et Eric Ferrage)1. L’utilisation des méthodes de caractérisation structurale décrites précédemment a en particulier permis de montrer que seule la composante smectite était affectée par une perturbation alcaline telle que celle pouvant résulter de l’altération des liants hydrauliques constitutifs des ouvrages souterrains ou des colis de déchets. Une telle approche constitue bien entendu le préalable indispensable pour comprendre les implications géochimiques de cette évolution et en particulier pour prédire son impact sur les propriétés d’adsorption des minéraux argileux impliqués. Cette réaction engendre en effet la diminution de la capacité d’échange globale des minéraux argileux mais permet en revanche l’incorporation de cations dans la structure même de ces minéraux, les substitutions cationiques augmentant dans le feuillet avec l’avancement de la réaction.

Fig. 12 Modélisation du diffractogramme de rayons X d’une smectite en fonction de la distribution de l’eau interfoliaire (points : expérimental, trait : calcul). (a) configuration classique avec deux plans de molécules d’eau, (b) distribution gaussienne des molécules d’eau autour de deux plans et (c) configuration issue de calculs Monte-Carlo (d’après Ferrage et al., 2005). Les tirets verticaux indiquent la présence de quartz.

D’autres études menées sous ma direction se sont intéressées aux modifications structurales susceptibles d’affecter les smectites dans le contexte du stockage de déchets. En particulier, l’étude de leur déshydratation et de leur possible évolution structurale suite à l’élévation de température induite par l’activité intrinsèque des déchets radioactifs a été abordée dans le cadre de la thèse d’Eric Ferrage en partenariat avec l’Andra. Les résultats, particulièrement novateurs, de ce travail ont en particulier permis de préciser la structure de l’eau dans l’espace interfoliaire des smectites nonobstant l’hétérogénéité structurale intrinsèque des variétés naturelles. La confrontation entre les données de diffraction des rayons X et des neutrons, celles issues de la gravimétrie d’adsorption-désorption de vapeur d’eau et les simulations Monte-Carlo a ainsi permis de proposer un modèle cohérent de distribution de ces espèces interfoliaires (Fig. 12)2. Ce modèle a ensuite été utilisé pour préciser les propriétés d’hydratation de ces minéraux en fonction de leur structure (quantité et localisation des déficits de charge) mais aussi en réponse aux modifications des conditions physico-chimiques du milieu (activité des actions compensateurs, humidité relative en particulier)3.

Fig. 13 Evolution de la distance basale de phyllosilicates 2:1 hydratés en fonction du nombre de molécules d’eau interfoliaire (pour l’état bi-hydraté et après normalisation par le nombre de cations) pour des échantillons présentant des quantités et des localisations de charge contrastées (modifié d’après Dazas et al., 2015 et Vinci et al., soumis).

Les thèses de Baptiste Dazas et Doriana Vinci, menées sur un ensemble de phyllosilicates expansibles synthétiques obtenus pro parte au travers de collabotrations externes (Josef Breu – Univ. Bayreuth, Allemagne ; Sridhar Komarneni, Penn State Univ., USA ; Jean-Louis Robert, IMPMC, Paris), a permis de préciser l’effet des paramètres cristallochimiques essentiels que sont la localisation et la quantité de charge mais aussi la nature des anions structuraux (OH- ou F-) sur la quantité et la distribution des espèces interfoliaires (cations, eau). Il a ainsi été possible de montrer que les quantités d’eau interfoliaire exprimées par maille sont indépendantes de la quantité et de la localisation de la charge foliaire et que la distance basale des smectites dépend pour l’essentiel de l’intensité des interactions électrostatiques entre cations interfoliaires et feuillets argileux (Fig. 13). Pour les smectites présentant des substitutions tétraédriques (saponites), il en résulte une diminution des distances basales avec l’augmentation de la charge foliaire, diminution qui s’accompagne d’un désordre positionnel réduit et d’une polarisation accrue des molécules d’eau interfoliaires. Ces deux effets résultent de la proportion croissante de molécules d’eau appartenant aux deux premières sphères d’hydratation des cations interfoliaires avec l’augmentation de la charge foliaire, qui étend également la stabilité des états les plus hydratés vers de plus faibles valeurs d’activité de l’eau. Ces deux effets sont liés directement à l’augmentation de la sous-saturation des oxygènes de surface des feuillets de smectite ou de la densité d’oxygènes sous-saturés consécutive à l’augmentation de la charge foliaire. Pour les smectites présentant des substitutions tétraédriques (hectorites), l’impact de ces substitutions sur la sous-saturation des oxygènes de surface est plus diffus et aussi bien la distance basale que la distribution des espèces interfoliaires ne sont affectées que marginalement par l’augmentation de lacharge foliaire (Thèse Doriana Vinci en cours). Enfin, pour les smectites fluorées, les quantités d’eau interfoliaires, ainsi que les distances basales, sont réduites drastiquement par rapport à leurs équivalents hydroxylés, vraisemblablement du fait d’une sous-saturation accrue des oxygènes de surface des feuillets argiles4. Cette différence majeure d’hydratation par rapport aux smectites hydroxylées obère fortement la pertinence de ces analogues fluorés pour les études spectroscopiques utilisant les neutrons, communes du fait du gain lié à l’absence d’hydroxyles structuraux (amélioration significative des rapports S/N du fait de l’absence de H).
Outre l’amélioration du modèle structural des interfoliaires de smectite, la confrontation des données expérimentales de diffraction des rayons X et des neutrons avec les données numériques issues de simulation dans l’espace grand-canonique a permis d’affiner les potentiels d’interactions électrostatiques entre les feuillets de smectite et ces espèces interfoliaires dans des milieux poreux argileux (Fig. 14)5. Les implications de cette amélioration sont primordiales en particulier pour améliorer la précision de la modélisation des propriétés, en particulier dynamiques, de l’eau interfoliaire des smectites6 et donc de l’évolution de la réactivité de ces minéraux en fonction des conditions de leur environnement.

Fig. 14 Les densités électroniques interfoliaires obtenues par modélisation Monte-Carlo dans l’espace grand-canonique (à gauche) sont utilisées pour modéliser les diffractogrammes expérimentaux obtenus sur une smectite bi-hydratée (d001 ≈ 15.2 Å) avec des rayons X (en haut à droite), avec des neutrons (à droite au milieu) et avec des neutrons après échange de l’eau interfoliaire par D2O (en bas à droite ; d’après Ferrage et al., 2011).

Finalement, les interactions entre les produits de corrosion des containers métalliques et les constituants argileux de ces barrières ouvragées ont été étudiées dans le cadre de la thèse de Sébastien Lantenois. Ces travaux ont permis de mettre en évidence les facteurs favorisant la déstabilisation des smectites initiales et d’en déterminer les mécanismes réactionnels7. La cinétique de cette réaction a également été déterminée de même que l’influence des paramètres structuraux des smectites initiales sur son avancement ultime. Enfin, la structure des phyllosilicates néoformés suite à cette déstabilisation a également été déterminée en couplant des techniques diffractométriques (rayons X et électrons) et spectroscopiques (infrarouge, EDS – Energy Dispersive Spectroscopy – et EELS – Electron Energy Loss Spectroscopy) avec l’imagerie électronique haute résolution. Il a ainsi été possible de déterminer, dans une matrice complexe, les périodicités principales des composés néoformés, mais également leur chimie et en particulier la valence du fer structural (Fig. 15). Les phases néoformées ont ainsi pu être identifiées comme des phyllosilicates 1:1 (périodicité à 7 Å suivant l’axe c*) ferrifères dont l’occupation octaédrique est intermédiaire entre les pôles di- et tri-octaédriques. Les deux grandes populations identifiées parmi ces phases néoformées correspondent aux minéraux odinite et crondstedtite8.

Fig. 15 Image (obtenue en microscopie électronique en transmission) montrant le caractère lamellaire des phases néoformées suite aux interactions fer-argile (à gauche). La périodicité de 7 Å suivant l’axe perpendiculaire aux feuillets (axe c*) est déterminée par diffraction des électrons (en bas à gauche). La détermination locale de la valence du fer dans ces espèces néoformées par spectroscopie EELS (perte d’énergie des électrons – à droite) a permis de compléter les analyses chimiques ponctuelles pour proposer une formula structurale cohérente pour ces phases néoformées (d’après Lanson et al., 2012).

1 Claret et al. (2002) Clays & Clay Min., 50, 633-646. Ferrage (2004) Thèse UJF, Grenoble, 326 pp.
2 Ferrage et al. (2005) Chem. Mater., 17, 3499-3512.
3 Ferrage et al. (2005) Amer. Miner., 90, 1358-1374. Ferrage et al. (2005) Clays & Clay Min., 53, 348-360. Ferrage et al. (2005) Geochim. Cosmochim. Acta, 69, 2797-2812. Ferrage et al. (2007) Amer. Miner., 92, 1731-1743.
4 Dazas et al. (2013) Micropor. Mesopor. Mater., 181, 233-247. Dazas et al. (2015) J. Phys. Chem., C119, 4158-4172.
5 Ferrage et al. (2010) J. Phys. Chem., C114, 4515-4526. Ferrage et al. (2011) J. Phys. Chem., C115, 1867-1881.
6 Jimenez-Ruiz et al. (2012) J. Phys. Chem., A116, 2379-2387.
7 Lantenois et al. (2005) Clays & Clay Min., 53, 597-612.
8 Lanson et al. (2012) Amer.Miner., 97, 864-871.

Sols

Aluminisation des argiles expansibles dans les sols acides. L’aluminisation des minéraux argileux est un processus bien connu dans les sols acides formés sous tous les climats. Dans de tels environnements, la dissolution de minéraux, y compris les minéraux argileux, conduit à la présence d’aluminium dans la solution du sol. Cet aluminium est ensuite fixé, sous forme de polymères Al[OH)x,(H2O)y]3-x, dans les espaces interfoliaires de phyllosilicates initialement expansibles conduisant à la formation de minéraux dits "hydroxy-interlayered" ou HI. Par rapport aux phyllosilicates expansibles originels, ces minéraux HI présentent des capacités d’échange cationique réduites du fait de la présence d’une couche dioctaédrique gibbsitique interfoliaire. L’impact négatif de cette diminution sur la fertilité des sols a généré un intérêt soutenu pour ce processus d’aluminisation. Cependant, même la cristallochimie de ces minéraux HI reste débattue avec l’existence de deux modèles principaux, en dépit des nombreux travaux réalisés depuis plusieurs décennies. Un premier modèle décrit ces espèces comme appartenant à une solution solide entre les minéraux expansibles (smectite, vermiculite) et les chlorites alumineuses. Dans cette description, tous les interfoliaires sont similaires et l’avancement de la réaction d’aluminisation se traduit essentiellement par une modification de la complétude de la couche gibbsitique interfoliaire. L’autre modèle décrit ces minéraux comme des interstratifiés contenant des feuillets expansibles et d’autres semblables à des chlorites alumineuses avec des couches gibbsitiques interfoliaires incomplètes. Dans ce dernier cas, l’avancement de la réaction d’aluminisation induit l’augmentation de la proportion de feuillets chlorite et, éventuellement, l’accroissement de la complétude de la couche gibbsitique interfoliaire.
La modélisation des diffractogrammes de rayons X obtenus sur une série d’échantillons de vermiculite altérés expérimentalement en conditions acides (Jacques Ranger, Marie-Pierre Turpault – INRA, Champenoux) a permis d’invalider le premier modèle. Il a également été possible de montrer que la couche gibbsitique interfoliaire est extrêmement parcellaire (occupation interfoliaire correspondant à 15% d’une couche complète – Fig. 16). La présence de polymères Al[OH)x,(H2O)y]3-x relativement isolés dans ces interfoliaires HI n’en demeure pas moins extrêmement pénalisante pour la capacité d’échange cationique globale de ces minéraux. La décroissance de cette capacité avec l’avancement de la réaction d’aluminisation est en effet directement liée à la proportion de feuillets HI dans les interstratifiés1.

Fig. 16 Comparaison entre les diffractogrammes expérimentaux (croix noires) et calculés (en rouge) montrant la sensibilité de la diffraction des rayons X à l’occupation interfoliaire d’une vermiculite altérée à bas pH. La quantité de Na+ interfoliaire est déterminée par l’analyse chimique (obtenue par spectroscopie EDS sur un microscope électronique à balayage). La modélisation des diffractogrammes indique la présence d’une couche gibbstique interfoliaire très partielle avec 0.54-0.74 Al interfoliaire (par O20OH4), contre 4.0 pour une couche gibbsitique complète, en accord avec l’analyse chimique (d’après Lanson et al., 2015).

Impact minéralogique du prélèvement des nutriments dans les sols agricoles. Dans les sols agricoles, les minéraux argileux et plus spécifiquement les phases illitiques/micacées représentent également un réservoir potentiel de Potassium accessible par les plantes à l’inverse des autres minéraux potassiques (feldspaths p. ex.). Dans la perspective d’une agriculture durable, le devenir de ce réservoir nécessitent donc de quantifier les modifications minéralogiques affectant les minéraux argileux en réponse au prélèvement de ce nutriment essentiel par les plantes et son possible renouvellement (fertilisation, rotation de cultures). Lors de sa thèse, Eleanor Bakker a donc modélisé les diffractogrammes de rayons X à cette fin sur une série d’échantillons provenant des Morrow plots et obtenus dans le cadre d’une collaboration avec une équipe américaine (M.M. Wannder – U. of Illinois, USA). Ce dispositif agronomique expérimental a été établi sur le campus de l’université d’Illinois à Urbana-Champaign en 1876 pour évaluer les pratiques agronomiques des grandes plaines agricoles du Midwest américain. Les échantillons de sols disponibles depuis 1904, avec une fréquence décennale, permettent d’évaluer, sur le long terme, l’influence des rotations de culture ou des diverses méthodes de fertilisation utilisées depuis la mise en place des différentes parcelles, en particulier l’introduction des engrais commerciaux à partir de 1955. Ces différentes pratiques culturales ont conduit selon les cas à des bilans nets positifs (fertilisation) ou négatifs (absence de fertilisation) en potassium sur la période 1955-20052.

Fig. 17 Evolution de la granulométrie de la fraction argileuse (<2.0 µm) en fonction du temps (à droite). Les valeurs sont moyennées sur les 4 parcelles étudiées qui représentent des pratiques culturales contrastées. La capacité d’échange cationique de la fraction argileuse est majoritairement due à sa fraction la plus fine (<0.05 µm – à droite). Données obtenues pour la parcelle 5NB (rotation de culture sans fertilisation depuis 1876). Modifié d’après Bakker et al. 20183.

L’analyse minéralogique quantitative des fractions granulométriques non-argileuses (>2 µm) n’a pas révélé de modifications significatives des minéraux présents dans les fractions silt et sable ou de leurs abondances relatives. En revanche, les proportions relatives des sous-fractions (<0.05 µm, 0.2-0.05 µm et 0.2-2.0 µm) obtenues à partir de la fraction argileuse ont mis en évidence une évolution granulométrique significative de cette fraction fine quels que soient les pratiques agronomiques ou les quantités de potassium prélevé par les plantes. Spécifiquement, si la fraction argileuse reste globalement constante au cours du temps, l’importance de la fraction la plus fine augmente avec le temps, en particulier après l’introduction des engrais commerciaux (Fig. 17). En parallèle, la modélisation systématique des diffractogrammes a permis de proposer un modèle structural cohérent pour l’ensemble des sous-fractions argileuses (Fig. 18) des différents échantillons et de pouvoir ainsi suivre, pour chaque parcelle, l’évolution minéralogique induite par le prélèvement de potassium par les plantes. L’analyse de ces données montre que l’évolution granulométrique ne s’accompagne pas d’une évolution minéralogique, comme le montrent les modélisations des diffractogrammes de rayons X obtenus sur la fraction la plus fine (<0.05 µm – Fig. 19). Il apparait donc que la dissolution des fractions argileuses grossières, riches en micas potassiques, fournit aux plantes le potassium dont elles ont besoin. Dans un contexte global non limité en potassium, les minéraux du sol profond contribuent également à fournir le potassium consommé par les plantes, alors que la dissolution des feldspaths potassiques reste marginale. La prééminence de la dissolution sur l’échange cationique résulte du caractère dioctaédrique des micas micro-cristallins présents dans les Morrow plots.

Fig. 18 Comparaison entre les diffractogrammes expérimentaux (croix rouges) obtenus sur une préparation orientée séchée à l’air (à droite) et après saturation à l’éthylène glycol (à gauche) et ceux calculés sur la base d’un modèle structural cohérent (trait noir). Les différentes contributions de ce modèle à l’intensité diffractée sont montrées sous le fit. Diffractogrammes de rayons X obtenus sur une préparation orientée de la fraction <0.05 µm des échantillons de la parcelle 5NB (rotation de culture sans fertilisation depuis 1876). Modifié d’après Bakker et al. 2018.

Fig. 19 Comparaison entre les diffractogrammes expérimentaux (croix noires) obtenus après saturation à l’éthylène glycol (à gauche) et ceux calculés sur la base d’un modèle structural cohérent (trait rouge) sur les échantillons de la parcelle 3NB (monoculture de maïs depuis 1876, pas de fertilisation jusqu’en 1955, fertilisation NPK ensuite). Modifié d’après Bakker et al. 20194.

1 Lanson et al. (2015) Geoderma, 249-250, 28-39.
2 Khan et al. (2014) Renew. Agric. Food Syst., 29, 3–27.
3 Bakker et al. (2018) Soil Syst., 2, 46.
4 Bakker et al. (2019) Geoderma, 347, 210-219.

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