Introduction

Introduction

A la surface de la Terre, le cycle biogéochimique des éléments et des molécules est essentiellement contrôlé par leurs interactions avec les minéraux crypto-cristallins, la matière organique et les organismes vivants (voir ci-contre). La compréhension et la modélisation de ces interactions constituent un des axes de recherche développé au sein de l’équipe Minéralogie et Environnements de l’ISTerre. Cette problématique y est abordée sous deux angles complémentaires : l’étude de la structure et de la réactivité de surface des matériaux minéraux à forte capacité réactionnelle et la biogéochimie structurale des éléments et des contaminants dans les deux principales formations continentales que sont les sols et les sédiments. Pour l’essentiel, mes travaux de recherche concernent le premier de ces axes et plus spécifiquement les relations entre la structure cristallochimique des matériaux minéraux lamellaires à forte densité de défauts et leur réactivité dans le milieu naturel.

Minéraux lamellaires crypto-cristallins

A la surface de la Terre, le comportement de nombreux éléments chimiques et molécules est en effet largement déterminé, en particulier pour ce qui concerne leur mobilité et leur spéciation, par leurs interactions avec la surface de particules crypto-cristallines telles que les argiles et les oxy-hydroxydes. Les minéraux impliqués dans ces processus résultent principalement de réactions d’hydrolyse de cations à forte charge et petit rayon ionique (Fe3+, Mn4+, Al3+, Si4+). Ces réactions conduisent, au moins dans un premier temps, à des objets nano-divisés, très mal cristallisés, souvent polyphasés, tels que les colloïdes et les gels, précurseurs de minéraux mieux ordonnés. L’intérêt de ces minéraux (oxy-hydroxydes ou silicates) provient de leur forte réactivité chimique, induite par leur caractère crypto-cristallin (grande densité de défauts et faible taille), le plus souvent combiné à une forte anisométrie.
Une connaissance imparfaite de leur structure cristallochimique fine a résulté de l’absence de monocristaux, induite par la présence de nombreux défauts cristallins et hétérogénéités. Cette connaissance est pourtant essentielle pour appréhender les relations existant entre structure réelle (c’est-à-dire incluant les défauts cristallins) et propriétés macroscopiques et, par conséquent, pour mieux comprendre les processus de piégeage et/ou de transport des ions dans le milieu naturel. Elle constitue, avec la connaissance des mécanismes réactionnels à leur surface, le préalable indispensable pour expliquer puis modéliser et donc prédire la réactivité des phases solides au contact des solutions naturelles.

Phyllomanganates

Dans cette perspective, je me suis attaché à déterminer la structure cristallochimique des oxydes de manganèse lamellaires, et les mécanismes de fixation des cations à leur surface. Bien que considérablement moins abondants que les oxyhydroxydes de fer en milieu supergène, les oxydes de manganèse sont par contre nettement plus réactifs. En effet, non seulement la surface spécifique des phyllomanganates est environ 5 à 10 fois supérieure à celle de la goethite ($\alpha$-FeOOH, 100 m2 g-1 vs 10-20 m2 g-1), mais leur charge de surface permanente est également trois fois plus élevée que celle des smectites (argile "gonflante", 3 meq g-1 vs 1 meq g-1). Enfin, le potentiel oxydant des couples Mn4+/Mn2+ et Mn3+/Mn2+ est supérieur à celui du couple Fe3+/Fe2+. Ces propriétés physico-chimiques tout à fait exceptionnelles se traduisent dans le milieu naturel par des affinités géochimiques remarquables avec nombre d’éléments trace comme par exemple le cobalt, le zinc, le plomb, les platinoïdes et les terres rares. Enfin, il est à noter que l’intérêt porté à ces matériaux dépasse très largement le cadre des Sciences de la Terre et de l’Environnement comme en témoigne l’abondance de la littérature consacrée aux propriétés électrochimiques de ces composés, résultant de leur capacité d’échange ionique, et au développement récent de nombreux protocoles de synthèse de ces minéraux par la communauté des chimistes et des électrochimistes.

Phyllosilicates

Dans la continuité méthodologique de ces travaux, j’ai développé un second thème de recherche centré sur l’évolution structurale des minéraux argileux (phyllosilicates) en réponse aux modifications des conditions physico-chimiques du milieu. Ce thème constitue le prolongement logique de mes premiers travaux sur l’évolution diagénétique de ces espèces minérales, l’approche cristallographique utilisée assurant la cohérence de mon activité scientifique. Cette thématique répond à la forte demande sociétale en matière de protection de l’Environnement, en particulier de sureté des stockages de déchets, nucléaires ou domestiques. Afin de mieux prédire l’évolution dans le temps du risque lié à ces stockages, il est en effet essentiel de connaître les modifications structurales susceptibles d’affecter les minéraux constitutifs des barrières argileuses destinées à contenir, ou à retarder, la migration des contaminants. La mobilité des polluants dépend en effet pour une large part de leurs interactions avec la surface des minéraux argileux constitutifs de ces barrières. Connaître et prédire le comportement de ces minéraux en réponse à une perturbation chimique ou thermique résultant du stockage apparaît donc comme un point essentiel pour l’évaluation de la performance et de la sûreté du dispositif en raison de l’impact potentiel de ces modifications structurales sur les propriétés de confinement de la barrière. De la même manière, l’eau cristalline (interfoliaire) présente dans les minéraux argileux expansibles (smectites) constitue le vecteur privilégié de transport des contaminants dans ces barrières. La détermination de sa structure et de sa dynamique sont donc essentielles à cette évaluation.
Dans la même optique de compréhension du comportement et de la stabilité à moyen et long termes des minéraux argileux des sols, je me suis intéressé ces dernières années à leurs interactions avec les constituants organiques et biotiques de ces formations. En particulier le rôle des minéraux argileux comme possible source de Potassium, potentiellement renouvelable et durable, dans les sols agricoles a ainsi été étudié au travers des modifications structurales induites par le prélèvement de ce nutriment essentiel par les plantes. Les interactions entre minéraux argileux et molécules organiques et leur impact sur le devenir de contaminants émergents ont constitué un deuxième axe de recherche émergent impliquant les minéraux argileux des sols.

Approche méthodologique

Les techniques diffractométriques sont sensibles à la structure moyenne des solides à l’échelle de quelques dizaines à quelques centaines d’Angströms et permettent d’accéder à la nature et à l’abondance de défauts cristallins qui sont pour une bonne part à l’origine de la réactivité chimique de ces solides. La périodicité tridimensionnelle des matériaux minéraux de basse température est en effet altérée par des défauts cristallins de différentes natures : substitutions chimiques, lacunes cationiques et anioniques, fautes d’empilement générées par des translations et/ou des rotations du réseau des anions et/ou des amorces polytypiques. A ces défauts cristallins s’ajoutent des mélanges intimes de phases comme dans le cas des minéraux interstratifiés. Comme cela a été dit précédemment, la prise en compte de ces défauts est essentielle pour définir un modèle structural cohérent pour ces matériaux dans la mesure où ils contribuent pour une large part à leur réactivité chimique comme illustré sur la figure 1 pour des matériaux de cathodes lamellaires. Ces défauts modifient les profils et les intensités relatives des raies de diffraction. L’approche modélisatrice consiste à déterminer leur nature, leur densité et leur distribution par simulation des diffractogrammes de rayons X et comparaison avec les données expérimentales. Cette méthode a été utilisée pour déterminer la structure d’oxydes de manganèse (birnessite) crypto-cristallins, les mécanismes d’adsorption d’éléments métalliques (Co, Zn, Pb, Cd, …) sur la birnessite, mais aussi pour étudier l’impact de perturbations chimiques ou thermiques sur la structure de phyllosilicates.

Fig. 1 Augmentation des performances électrochimiques de Ni(OH)2 (structure idéale du polytype 1H à droite) avec la densité de défauts structuraux. a) Polytype 1H ordonné ne présentant ni fautes d’empilement ni lacunes foliaires ; b) composé incluant 11% de fautes d’empilement correspondant au polytype 3R2 et 5% de lacunes foliaires ; c) composé incluant 20% de fautes d’empilement correspondant au polytype 2H2 et 14% de lacunes foliaires (adapté d’après Ramesh & Kamath, 2008, Mater. Res. Bull. 43, 2827-2832)

Cependant, l’information obtenue à l’échelle mésoscopique, celle de la diffraction des rayons X, n’est pas toujours extrapolable à l’échelle nanoscopique et il est tout à fait indispensable d’intégrer les mesures et observations effectuées à toutes les échelles d’investigation pour comprendre et modéliser la réactivité surfacique de ces solides divisés dans le milieu naturel. Dans cette perspective, les méthodes spectroscopiques sont très complémentaires des méthodes diffractométriques puisqu’elles donnent accès à la structure locale des solides, c’est-à-dire à l’arrangement des atomes à l’échelle de quelques Angströms. La confrontation des données issues des techniques spectroscopiques, microscopiques et diffractométriques mais également des approches de modélisation moléculaire permet ensuite de proposer un modèle structural global cohérent. Les dernières approches peuvent également permettre de déterminer les paramètres cristallochimiques responsables de propriétés spécifiques ou de prédire certaines propriétés de ces solides crypto-cristallins.

Thématique