Structure cristallochimique des oxydes de manganèse

Structure cristallochimique des oxydes de manganèse lamellaires synthétiques

La structure de la birnessite, l’un des oxydes de manganèse les plus abondants dans le milieu naturel et les plus réactifs, a été élucidée à l’aube du millénaire par notre équipe nonobstant son caractère cryptocristallin, sa forte anisométrie et sa grande densité de défauts. Expérimentalement, cette étude a été abordée de façon pluriméthodologique par diffraction des électrons et des rayons X et par spectroscopie EXAFS sur des matériaux synthétisés dans des conditions thermodynamiques et cinétiques strictement contrôlées grâce à la synergie des compétences développées par les différents membres de l’équipe. La confrontation des données complémentaires issues de techniques spectroscopiques (absorption des rayons X) et diffractométriques a ainsi permis de montrer que la birnessite présente pour l’essentiel deux structures distinctes, l’une, triclinique, stable à haut pH et l’autre, hexagonale, stable à bas pH (Fig. 2). La structure de la birnessite, et par conséquent sa réactivité de surface, évolue donc de manière dynamique avec les paramètres physico-chimiques du milieu, comme le pH mais aussi le potentiel redox ou la nature et l’activité des cations compensateurs.
Il a également été établi que la non-stoechiométrie de ces composés est essentiellement induite par des substitutions hétérovalentes Mn4+-Mn3+, ou Mn4+-Mn2+, au sein du feuillet pour la forme triclinique, et par la présence de lacunes foliaires, associées à des cations interfoliaires di- ou trivalents, pour la birnessite hexagonale. La coexistence au sein de ces composés des ions Mn4+ et Mn3+ engendre un potentiel d’oxydo-réduction et modifie la spéciation de nombreux éléments lors de leur adsorption. Ces réactions d’adsorption sont favorisées par l’importante surface spécifique et le fort déficit de charge permanent de ces minéraux.

Fig. 2 Structure des birnessites tricliniques (à gauche) et hexagonales (à droite)

Influence du protocole de synthèse

Dans le cadre d’un projet INSU-Géomatériaux et avec le concours d’une doctorante sous ma responsabilité (Anne-Claire Gaillot), je me suis attaché à caractériser les oxydes de manganèse non stœchiométriques obtenus à partir de différents protocoles de synthèse de la littérature et génériquement appelés "birnessite" lorsqu’ils présentent une distance basale voisine de 7 Å. Cette étude structurale a été menée à bien sur des échantillons synthétisés soit dans notre laboratoire soit par les équipes ayant élaboré ces nouveaux protocoles et avec lesquelles nous avons initié des collaborations (Qi Feng – Univ. Kagawa / Japon). L’extrême complexité structurale des minéraux obtenus expérimentalement et décrits sous l’appellation "birnessite" est représentée schématiquement dans le tableau 1 en fonction de la symétrie des feuillets, de leur mode d’empilement, et de leurs orientations respectives.
Il a été possible de définir quatre grandes familles structurales, regroupant 6 polytypes, en fonction de la symétrie du feuillet et de la nature de l’empilement. Dans le cadre de la thèse d’Anne-Claire Gaillot (2002), la structure de plusieurs de ces composés a été déterminée et l’origine de la charge foliaire définie, permettant ainsi de mieux comprendre les différences de réactivité, et la répartition des espèces interfoliaires.
En particulier, la structure d’une variété de birnessite (2H obtenue par réduction de KMnO4 à 800°C) a été déterminée, pour la première fois, sur un monocristal micrométrique ( 2 x 2 x 2 µm3)1. La confrontation de cette technique de caractérisation structurale, novatrice dans le domaine des composés inorganiques micro-cristallins, avec des données spectroscopiques (EXAFS et XANES) a permis d’appréhender avec une précision inédite l’origine du déficit de charge foliaire de ces composés et la distribution des espèces interfoliaires compensatrices. Enfin, la nature des défauts cristallins présents dans cette variété de birnessite a pu être mise en évidence "classiquement" par diffraction des rayons X sur poudre2.
Ces travaux de caractérisation cristallochimique ont été compilés et complétés pour proposer des critères pratiques d’identification des diverses variétés structurales de birnessite sur la base de leurs diffractogrammes de rayons X3.

Tableau 1. Synthèse des structures déterminées pour les différents oxydes de manganèse élaborés expérimentalement à partir de protocoles sélectionnés dans la littérature4.

1 Gaillot et al. (2003) Chem. Mater., 15, 4666-4678.
2 Gaillot et al. (2004) Chem. Mater., 16, 1890-1905.
3 Drits et al. (2007) Amer. Miner., 92, 1731-1743.
4 Chen et al. (1996) Solid State Ionics, 86-88, 1-7. Ching et al. (1995) Chem. Mater., 7, 1604-1606. Chukhrov et al. (1989) Supergenic manganese hydrous oxides, Nauka, Moscow, 208 pp. Drits et al. (1998) Amer. Miner., 83, 97-118. Feng et al. (1995) Chem. Mater., 7, 1226-1232. Gaillot et al. (2005) Chem. Mater., 17, 2959-2975. Gaillot et al. (2007) Microp. Mesop. Mater., 98, 267-282. Giovanoli et al. (1970) Helv. Chimica Acta, 53, 454-464. Kim et al. (1999) Chem. Mater., 11, 557-563. Lanson et al. (2000) Amer. Miner., 85, 826-838. Lanson et al. (2002a) Amer. Miner., 87, 1662-1671. Lanson et al. (2002b) Amer. Miner., 87, 1631-1645. Luo et al. (2000) Inorg. Chem., 39, 741-747. Ma et al. (1999) Chem. Mater., 11, 1972-1979. Manceau et al. (1997) Amer. Miner., 82, 1150-1175. Post & Veblen (1990) Amer. Miner., 75, 477-489. Yang & Wang (2001) Chem. Mater., 13, 2589-2594.

Mécanismes d’adsorption des métaux sur les phyllomanganates

Parallèlement, les mécanismes structuraux d’adsorption de métaux de transition (Co, Zn, Pb, Cu) sur la birnessite obtenue selon le protocole de Giovanoli et al. (1970) ont été étudiés afin de mieux caractériser la réactivité de surface de ces phases. Cette étude a combiné diffraction des rayons X et des électrons et spectroscopie EXAFS et a été réalisée à des concentrations variées en éléments métalliques. Elle a ainsi permis de décrire les différents sites d’adsorption de ces éléments dans l’espace interfoliaire de ces minéraux. Ce travail a également permis de caractériser les modifications structurales induites et de mettre en lumière l’extrême hétérogénéité structurale de ces minéraux.
L’intégration de l’ensemble de ces données conduit à une meilleure compréhension à l’échelle moléculaire du comportement macroscopique des cations en présence de ces matériaux minéraux mal organisés. L’intérêt prédictif d’un tel modèle est clair, en particulier pour les problèmes environnementaux liés à la rétention de polluants métalliques puisque ces minéraux contrôlent, au moins pour partie, le devenir de ces éléments dans le milieu naturel. La figure 3 montre ainsi que dans les sols contaminés par les émissions anthropiques résultant de la métallurgie des métaux non ferreux Zn est associé à Mn pour une large part. Il faut cependant noter que dans les zones où il est le plus concentré Zn est généralement associé à Fe.

Fig. 3 Distribution spatiale de Mn et Zn dans un nodule manganifère provenant d’un horizon de sol contaminé par les émissions atmosphériques d’une ancienne fonderie Pb-Zn (Mortagne du Nord, France). Données obtenues avec une résolution micrométrique par micro-fluorescence des rayons X sur source synchrotron (d’après Manceau et al., 2000)1.

La spectroscopie d’absorption des rayons X a permis de montrer que dans les zones où Mn et Zn sont associés, la spéciation de Zn est similaire à celle observée pour les échantillons de birnessite synthétique sur lesquels ont été adsorbées de faibles quantités de cet élément (Fig. 4). Zn est alors uniquement présent en coordination tétraédrique à l’aplomb de lacunes foliaires (Fig. 4)

Fig. 4 Fonctions de distribution radiale obtenues au seuil K de Zn dans les zones d’association Zn-Mn du nodule manganifère montré sur la figure 2 (rouge) et sur une birnessite synthétique après adsorption de Zn (bleu). Les deux fonctions sont similaires et indiquent que Zn est essentiellement présent à l’aplomb de lacunes foliaires en coordination tétraédrique (à droite - d’après Manceau et al., 2000, 2002)1.

1 Manceau et al. (2000) Amer. J. Science, 300, 289-343. Manceau et al. (2002) Geochim. Cosmochim. Acta, 66, 2639-2663.

Caractérisation structurale des phyllomanganates crypto-cristallins d’origine biotique

Les connaissances fondamentales acquises lors de ce travail de fond sur la structure cristallochimique des oxydes de manganèse synthétiques ont constitué un atout essentiel pour la caractérisation structurale d’espèces analogues extrêmement désordonnées rencontrées dans le milieu naturel et résultant de l’activité biologique (bactéries, racines, champignons,…). Il a ainsi été possible, en collaboration avec une équipe américaine (Gary Sposito, Mario Villalobos – UC Berkeley / USA), de déterminer la structure de précipités résultant de l’oxydation de Mn2+ par Pseudomonas putida, une bactérie modèle pour les phénomènes redox dans les eaux douces et les sols. La très faible extension latérale des cristaux ainsi formés, ainsi que leur désordre intrinsèque, conduisent à des composés nano-divisés (Fig. 5) ne présentant pas de périodicité tridimensionnelle. Il en résulte des diffractogrammes de rayons X présentant des raies basales très élargies et fortement déplacées par rapport à leurs positions idéales et des bandes hk de diffraction (Fig. 6). Nonobstant ce fort désordre structural, il a été possible de proposer un modèle structural pour ces composés et en particulier de déterminer la position des espèces interfoliaires, ainsi que l’origine de la charge foliaire
1. Ce dernier paramètre est essentiel puisque la présence de sites foliaires vacants conditionne la capacité à former des complexes stables avec les éléments sorbés, la capacité de sorption dépendant de la densité de ces sites

Fig. 5 Images obtenues en microscopie électronique des bactéries Pseudomonas putida responsables de l’oxydation de Mn2+ (à gauche) et de la formation des oxydes de manganèse désordonnés montrés à droite (d’après Toner et al. 2005, Appl. Envir. Microbiol., 71, 1300-1310).

Fig. 6 Diffractogrammes de rayons X obtenus sur les oxydes de manganèse résultant de l’oxydation de Mn2+ par Pseudomonas putida. Le diffractogramme expérimental est représenté par les croix, alors que la contribution des cellules mortes à l’intensité diffractée est représentée par le trait fin. Les simulations réalisées sur la base du modèle structural montré en haut à droite sont représenté par le trait gras continu (d’après Villalobos et al., 2006).

Fig. 7 Images obtenues en microscopies optiques (à droite) et électroniques (ci-dessous – images en e- secondaires, contraste morphologique, à gauche et en e- rétrodiffusés, contraste de densité électronique, à droite) des précipités se formant à la surface des racines de Festuca rubra lorsque cette espèce se développe sur un substrat contaminé (d’après Lanson et al., 2008)2.

Un semblable travail de caractérisation structurale combinant diffraction des rayons X et spectroscopies de fluorescence et d’absorption des rayons X a été effectué dans le cadre d’un projet ACI/FNS ECCO (EcoDyn) sur des oxydes mixtes Zn-Mn(-Ca) se formant dans les couches supérieures de l’épiderme racinaire de Festuca rubra lorsque cette espèce se développe sur un substrat contaminé en Zn. Le développement de ces précipités apparaît, de par leur distribution spatiale, intimement lié à l’activité racinaire de ces espèces (Fig. 7). L’analyse chimique de ces précipités a permis de montrer l’unicité de leur composition (couleur unique sur l’image RVB de µ-fluorescence X – Fig. 8).

Fig. 8 Caractérisation chimique (µ-fluorescence X sur rayonnement synchrotron) des précipités métalliques illustrés sur la figure 7.

La modélisation a permis de mettre en évidence une structure nano-cristalline lamellaire présentant une forte densité de sites lacunaires à l’aplomb desquels sont fixés des cations Znsup>2+ (Fig. 8). Il faut noter qu’en dépit du caractère lamellaire de ces oxydes de manganèse, leurs diffractogrammes de rayons X ne comprennent pas les raies basales caractéristiques de ce caractère. Le calcul de diffractogrammes théoriques a permis de montrer que cette particularité est liée à la délamination quasi parfaite de ces composés (Fig. 9). La présence de molécules organiques assure vraisemblablement la cohésion des monofeuillets nanométriques au sein des précipités microscopiques, comme le suggère leur faible pouvoir d’absorption des rayons X (les feuillets de MnO2 représentent 20% du volume total des précipités).
Il a ainsi été possible de confirmer le caractère lamellaire de la vernadite, un oxyde de manganèse particulièrement abondant dans les formations superficielles et dans les sols. Pourtant, l’absence de raies basales sur les diffractogrammes de rayons X de ce minéral avait conduit dans un premier temps à réfuter le caractère lamellaire de ce composé et sa similitude structurale avec la birnessite3.

Fig. 9 Raies 001 et 002 calculées pour des cristaux constitués d’un, deux ou trois feuillets (tirets noirs, rouges et bleus, respectivement). Le meilleur accord (courbe rose) avec les données expérimentales (croix) est obtenu pour un assemblage de ces trois types de cristaux dans les proportions 2.0:0.3:0.1 (d’après Lanson et al., 2008). Les positions "idéales" des raies de diffraction pour une distance basale de 7.20 Å sont indiquées par les traits verticaux.

Dans le cadre de la thèse qu’il a effectuée sous ma direction, Sylvain Grangeon a également déterminé la structure cristallochimique d’oxydes crypto-cristallins résultant de l’oxydation de Mn(II) par des champignons microscopiques typiques des environnements d’eau douce, obtenus dans le cadre d’une collaboration avec une équipe japonaise (Yukinori Tani – Univ. Shizuoka / Japon)4. Il a utilisé la même combinaison de techniques diffractométriques et spectroscopiques pour appréhender les mécanismes de fixation des éléments trace métalliques sur les analogues synthétiques (δ-MnO2) d’oxydes de manganèse crypto-cristallins naturels5, de même que les modifications de structure consécutives à la modification des conditions physico-chimiques de leur environnement. Il a en particulier montré que l’adsorption de Zn à pH acide était auto-catalysée par la création de lacunes dans les feuillets du substrat.


1 Villalobos et al. (2006) Amer. Miner., 91, 489-502.
2 Lanson et al. (2008) Geochim. Cosmochim. Acta, 72, 2478-2490.
3 Chukhrov & Gorshkov (1980) Mineral. Deposita, 15, 255-257. Chukhrov et al., Clays & Clay Miner. 28, 346-354.
4 Grangeon et al. (2010) Amer. Miner., 95, 1608-1616.
5 Grangeon et al. (2008) Min. Mag., 72, 1279-1281. Grangeon et al. (2012) Geochim. Cosmochim. Acta, 85, 302-313.

Evolution structurale de la birnessite en fonction des conditions physico-chimiques du milieu

Après avoir caractérisé les produits issus des différents protocoles de synthèse, le développement logique de ces travaux a consisté à en déterminer la stabilité en fonction des conditions physico-chimiques du milieu et en particulier à caractériser les modifications structurales affectant certaines de ces espèces. Les travaux réalisés dans le cadre de cette problématique ont concerné principalement l’étude des modifications structurales subies par la birnessite synthétisée (initialement à haut pH) selon le protocole de Giovanoli et al. (1970) lors de sa mise en conditions acides. Cette étude a permis de décrire les structures intermédiaires, interstratifiées et les mécanismes structuraux de cette transformation1.
Plus récemment, dans le cadre d’une collaboration avec SylvainGrangeon (BRGM – Orléans) il a été possible, en confrontant les résultats issus des techniques spectroscopiques et diffractométriques avec de l’imagerie en microscopie électronique à transmission et de la diffusion des rayons X à haute énergie, de montrer l’impact de la cristallochimie fine des oxydes de Mn (et en particulier de la proportion de Mn3+ qu’ils contiennent) sur leur évolution structurale en fonction du temps. Il a ainsi été possible de montrer que la migration de ces cations trivalents du feuillet octaédrique vers l’espace interfoliaire, qui permet de minimiser les contraintes dues à la distorsion des octaèdres Mn3+ par l’effet Jahn-Teller, était vraisemblablement à l’origine de la formation des structures tunnels (tectomanganates : todorokite, cryptomélane, …) fréquemment rencontrées dans le milieu naturel. Les mécanismes de cette transformation topotactique ont été précisés, de même que les contraintes cristallochimiques nécessaires à cette transformation (Fig. 10)2. La connaissance de ces mécanismes et chemins réactionnels permet désormais, dans le cadre d’un projet Cai Yuanpei (Zhongkuan Wu, Xonghan Feng – Univ. Wuhan, Chine), d’intégrer ces processus dans une modélisation plus fine du devenir des éléments trace fréquemment associés aux phyllomanganates lors de leur transformation dans le milieu naturel3.

Fig. 10 Image obtenue en microscopie électronique en transmission haute résolution de la transformation topotactique entre un phyllomanganate (vernadite, sur la droite de l’image) et un tectomanganate (cryptomélane : taille de tunnel 2×2, à gauche de l’image et insert). A droite mécanisme réactionnel montrant la migration des cations Mn3+ initialement présents dans le feuillet octaédrique vers l’interfoliaire, l’association de ces cations interfoliaires entre feuillets adjacents et enfin la formation de tunnels (d’après Grangeon et al., 2014, 2015).


1 Lanson et al. (2000) Amer. Miner., 85, 826-838.
2 Grangeon et al. (2014) Acta Crystallogr., B70, 828-838. Grangeon et al. (2015) Geochim. Trans., 16, 12.
3 Wu et al. (2019) Geochim Cosmochim Acta, 246, 21-40.

Thématique