Activités de recherche

Activités de recherche

Ma thèse de 3ème cycle à l’IPGP (1978-1981), encadrée par P.-A. Blum et G. Jobert, portait sur la détection et la mesure des déformations du sol associées aux séismes. Elle comportait des développements instrumentaux d’inclinomètres et extensomètres de grande sensibilité, la mise au point de méthodes d’analyse des données obtenues et l’étude des sources de bruit dans un massif karstique. Ces méthodes ont été appliquées à la région d’Arette (Pyrénées Atlantiques). Nous avons montré que les déformations d’origine tectonique sont faibles (Lesage et al., 1983), et que la mise en charge des fissures du karst par les infiltrations d’eau météorique produisent de fortes déformations (Crochet et al., 1983).

De 1981 à 1985, j’ai été chercheur au Centre de Recherche Scientifique et d’Enseignement Supérieur d’Ensenada (CICESE) au Mexique. J’ai créé avec un collègue un groupe de géodésie et j’ai étudié les déformations au voisinage des principales failles actives du nord de la Basse Californie (Darby et al., 1984). J’ai également participé à une étude des mouvements de la frontière de plaques dans le golfe de Californie (Kasser et al., 1987 ; Lesage et al., 1988 ; Ortlieb et al., 1989). Par ailleurs, j’ai étudié et modélisé la source de grands séismes mexicains en inversant des formes d’ondes de volume (Lesage, 1984 ; Lesage et Frez, 1990) ou de surface (Montfret et al., 1986). J’ai mis en évidence des effets directionnels liés à la propagation de la rupture et des effets de piégeage des ondes sismiques dans la structure sédimentaire proche de la source.

Je suis enseignant-chercheur à l’Université de Savoie depuis 1987. J’ai obtenu une délégation auprès de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) d’août 2005 à juin 2007. Dans ce cadre, j’ai été affecté à l’Institut de Géophysique de l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM). J’ai repris ensuite mes fonctions à l’Université de Savoie. Depuis ma nomination, mes travaux de recherche portent sur deux domaines principaux : la sismologie volcanique et le calcul de modèles de Terre. Je résume mes travaux ci-dessous.

[*1. Modèles de Terre*]

L’obtention de nouveaux modèles mécaniques moyens de Terre a été rendue nécessaire notamment par l’amélioration de la qualité des données de fréquences propres de vibration. Le PREM (Dziwonsky et Anderson, 1981) est toujours LE modèle de référence en sismologie. Il a été obtenu par l’inversion de temps de parcours et de fréquences propres. Cependant, il ne permet plus de rendre compte des données récentes avec leurs incertitudes. Depuis le PREM, aucune inversion globale des fréquences propres n’a été publiée, à part les tentatives de Widmer (1991) dans sa thèse.

Avec Bernard Valette, nous nous sommes engagés dans ce travail de grande ampleur. Il s’agissait également d’estimer certains paramètres mal connus tels que le déviateur de contrainte, l’anisotropie du tenseur élastique et la fréquence locale de Brunt-Väisälä. Il nous a fallu résoudre de nombreux problèmes théoriques, numériques et concernant le jeu de données. Nous avons effectué une exploration détaillée de l’espace des modèles afin d’estimer la résolution et la précision des modèles obtenus. Les développements théoriques et les premiers résultats de nos travaux sont exposés dans deux articles en cours de réécriture (Valette et Lesage, Lesage et Valette) et ont été présentés dans des congrès (Valette et Lesage, 1991, 1992a&b, 2007 ; Lesage et Valette, 1989, 1994). Les principales caractéristiques de notre approche sont :
(1) une paramétrisation du tenseur élastique prenant en compte le déviateur de contrainte et séparant les parties isotropes et anisotropes ; (2) l’utilisation des sauts de densité aux discontinuités et de la fréquence de Brunt-Väisälä pour paramétriser la densité dans les régions les plus profondes ; (3) la prise en compte d’éventuelles erreurs importantes sur des données par une loi de probabilité robuste ; (4) une approche de l’inversion fonctionnelle, bayésienne, non-linéaire et par moindres carrés ; (5) une analyse des incertitudes et de la résolution, ainsi que de la variabilité des modèles obtenus.

Les principaux résultats sont :
(1) des modèles de Terre qui permettent un bon ajustement des fréquences ; (2) des profils de densité estimés dans le noyau externe, avec une couche instable sous la CMB, compatibles avec l’existence d’une zone convective ; (3) une anisotropie élastique importante que dans le manteau supérieur et décroissant fortement vers la discontinuité de Lehmann ; (4) un déviateur de contrainte ayant des valeurs significatives dans le manteau supérieur et la zone de transition, avec un changement de signe vers 200 km. Les résultats montrent que la partie supérieure du manteau est en moyenne comprimée horizontalement, alors que la zone sous-jacente est en compression verticale. Ce régime de contrainte peut s’interpréter comme un effet du refroidissement de la Terre.

Dans les derniers développements de ce travail, nous avons rajouté l’inversion des facteurs de qualité des modes. Il apparaît toutefois nécessaire de prendre en compte l’atténuation et la dispersion de façon plus rigoureuse, ce qui demande la mise au point d’un nouvel algorithme de calcul du problème direct. Ce travail est toujours en cours.

[*2. Sismologie volcanique*]

L’activité sismique est l’un des principaux signes précurseurs des éruptions. Son étude permet d’améliorer les méthodes de surveillance et de prédiction et de mieux comprendre les processus physiques se produisant dans les systèmes magmatiques et hydrothermaux. Les caractéristiques particulières de cette sismicité requièrent le développement de méthodes adaptées. Je résume ci-dessus les principaux travaux et résultats réalisés avec mes étudiants et collaborateurs.

1) Nous avons analysé la sismicité qui a précédé l’éruption du Kelut, Java du 10 Février 1990. Nous l’avons associée à la fracturation d’un bouchon de faible résistance et avons mis en évidence le rôle de l’eau dans certains mécanismes à la source (Surono, 1992 ; Lesage et Surono, 1995).

2) Nous avons montré que sur certains volcans des effets locaux de résonance des couches superficielles pouvaient modifier fortement l’amplitude et la polarisation des ondes sismiques à certaines fréquences. Nous avons proposé d’appliquer la méthode du rapport spectral H/V pour détecter ces effets de site et avons montré que l’on peut utiliser les divers signaux sismo-volcaniques pour cela. Des applications aux volcans Arenal et Masaya ont été réalisées (Mora et al., 2001 ; Mora, 2003 ; Mora et al., 2006).

3) Nous avons proposé des améliorations de la méthode de corrélation spatiale d’Aki (1957) qui permet l’analyse de champs d’ondes stochastiques et stationnaires, tels que bruit micro-sismique ou trémor volcanique, à partir d’enregistrements par un réseau dense de capteurs. Un processus d’inversion, basé sur une approche fonctionnelle, bayésienne et par moindres carrés généralisés, a été mis au point pour mieux estimer les courbes de dispersion des ondes de surface à partir des coefficients de corrélation entre capteurs. Ces courbes de dispersion sont ensuite inversées pour estimer des modèles de vitesse de la structure. Ce type de sondage a été réalisé en plusieurs sites des volcans Masaya et Arenal (Métaxian, 1994 ; Métaxian et al, 1997 ; Mora, 2003 ; Mora et al., 2006). Nous avons également développé une méthode de localisation de sources d’événements émergents, basée sur le déploiement de plusieurs antennes sismiques. Les décalages temporels entre capteurs proches sont mesurés par une méthode interspectrale et sont inversés pour estimer les vecteurs lenteurs. Les valeurs significatives de l’azimut et de la vitesse apparente de propagation sont déterminées par un traitement probabiliste, puis la position la plus probable de la source est obtenue par recoupement des directions de propagation. Une expérience sur l’Arenal a permis de localiser les sources de trémors et d’explosions avec une précision de l’ordre de 500 m et de délimiter une région sismogène centrée sur le cratère actif (Métaxian et al., 2002).

4) J’ai coordonné la rédaction d’un chapitre de livre présentant la première revue sur la sismologie volcanique en Amérique Centrale (Lesage et coll., 2007). Les autres auteurs sont issus de toutes les institutions chargées de la surveillance volcanique au Guatemala, au Salvador, au Nicaragua, au Costa Rica et au Panama.

5) Nous avons proposé une démarche basée sur l’utilisation d’un ensemble de techniques d’analyse temps-fréquence et autorégressive (AR) pour extraire des informations sur les propriétés des sources sismo-volcaniques. L’analyse AR des pics de résonance permet d’estimer leur fréquence et facteur de qualité lesquels sont liés à la nature du fluide mis en jeu. La déconvolution AR permet d’accéder aux phénomènes d’excitation. Ces méthodes sont intéressantes pour suivre l’évolution des systèmes volcaniques pendant une crise, comme l’a montré une expérience pendant une crise phréatique du Pichincha (Lesage et al., 2003). Elles permettent également d’étudier les évolutions à court terme des signaux sismo-volcaniques qui sont associées aux processus magmatiques et hydrothermaux (Lesage et al., 2002 ; Mora, 2003). J’ai ensuite proposé une amélioration de la méthode d’analyse spectrale par modélisation auto-régressive en utilisant un critère pour déterminer automatiquement l’ordre du filtre AR optimal (Lesage, 2008). En reprenant les méthodes décrites ci-dessus, j’ai réalisé un logiciel dédié à l’analyse des signaux sismiques des volcans et basé sur l’utilisation d’interfaces conviviales afin de rendre ces traitements relativement efficients et faciles d’utilisation. Ce logiciel (Lesage, 2009), nommé "Seismo_volcanalysis", inclut de nombreux outils. Ce programme a été distribué depuis juillet 2007 à près de 40 observatoires et groupes de recherche volcanologique (http://isterre.fr/annuaire/pages-web-du-personnel/philippe-lesage/article/philippe-lesage).

6) Nous avons proposé un modèle conceptuel de la source du trémor volcanique (Lesage et coll., 2006) et avons mené plusieurs expériences en combinant stations large-bande, antennes sismiques et radar Dopple. L’approche multi-paramètre a permis de mettre en évidence la grande complexité et la forte variabilité des explosions modérées de ce volcan (Donnadieu et coll., 2008 ; Valade et al., 2012). Par ailleurs, avec des collègues irlandais, nous avons inversé les formes d’onde pour estimer le mécanisme à la source des explosions et des trémors volcaniques (Davi et coll., 2010, 2012). En collaboration avec Javier Almendros, de l’Université de Grenade, nous avons analysé le champ d’onde de trémor harmonique de l’Arenal enregistré par réseau dense de 19 capteurs. Nous avons mis en évidence de fortes variations spatiales et temporelles de l’amplitude des ondes que nous avons interprétées comme des effets d’interférence entre composantes du champ d’onde sismique monochromatique (Almendros et al., 2012). Nous avons aussi mis en évidence de subtiles différences entre les caractéristiques des champs d’ondes des événements longue-période et du trémor. L’interprétation de ces différences a permis d’apporter de nouvelles contraintes sur le modèle de source (Almendros et al., 2014). Par ailleurs, nous avons montré que la subsidence continue observée sur le volcan Arenal, Costa Rica, était principalement due à l’effet de la charge des coulées de lave sur le substratum (Mora et al., 2008a&b ; 2012).

7) Nous avons réalisé une analyse détaillée de l’activité sismique du volcan Popocatépetl avant et pendant le cycle éruptif de 2002-2003. Cette analyse inclut principalement la description des niveaux d’activité des séismes LP, VT et de trémor, la distribution des fréquences dominantes des signaux, ainsi que les corrélations entre ces paramètres et l’occurrence des explosions. La principale conclusion de ce travail est que les fortes explosions de ce cycle n’ont pas été précédées de précurseurs sismiques. Ceci a des implications importantes en terme d’estimation et de gestion des risques (Quezada et coll., 2007 ; 2008 ; 2013). Par ailleurs, nous avons réalisé une étude de la structure profonde du volcan et de la croûte sous-jacente, par l’analyse des ondes de surface de séismes lointains. En inversant les courbes de dispersion, nous avons obtenu un modèle 1D de vitesse qui est cohérent avec les modèles obtenus dans la région de la Ceinture Volcanique Mexicaine (De Barros et coll., 2008).

8) Dans le cadre de la thèse de Raul Arambula (2011), nous avons analysé l’activité sismique du volcan de Colima pendant la période éruptive 2004-2005. Les essaims sismiques associés à chaque explosion vulcanienne contiennent des familles d’événements LP similaires qui perdurent pendant toute la crise. Des essais de prédictions a posteriori des éruptions par la méthode « Material Failure Forcasting » (Voight, 1988) donnent des résultats encougeants (Arambula et al., 2011)

9) Je collabore avec plusieurs groupes de l’Université de Grenade et d’Amérique latine sur la mise au point d’un système de classification automatique de signaux sismo-volcaniques basé sur les "chaînes de Markov cachées" et issu de la reconnaissance vocale. Ce système donne de bons résultats et a été intégré dans le réseau de surveillance du volcan de Colima où il fonctionne de façon automatique. Diverses améliorations et développement sont encore en cours ou en projet. J’ai organisé en novembre 2012 un cours de formation à ce système destiné à des chercheurs et ingénieurs latino-américains en charge de la surveillance volcanique. Dans le cadre de la thèse que je dirige, Anaïs Boué travaille sur l’amélioration de la méthode de prédiction des éruptions « Material Failure Forecasting » (Voight, 1988). Elle a montré notamment qu’on peut obtenir des prédictions plus précises en classant les événements et en appliquant la méthode à certaines classes de séismes au lieu de prendre l’ensemble de la sismicité (Boué et al., 2012 ; 2013a&b).

10) Le sujet de thèse d’Agus Budi Santoso était l’étude de l’activité sismique du Merapi associée à l’éruption majeure de 2010. Nous avons montré que cette sismicité est caractérisée par une forte accélération pendant les 6 dernières semaines, une énergie sismique 3 fois plus grande que pour les éruptions classiques, une remontée du foyer d’activité 3 semaines avant l’éruption. Des tests a posteriori ont montré qu’on aurait pu prédire l’éruption 6 jours avant celle-ci avec une précision de +/- 4 heures (Budi-Santoso et al., 2011, 2012a&b ; 2013). Nous avons également confirmé la présence d’une zone asismique vers 2 km sous le cratère et identifié un grand nombre de multiplets sismiques. En utilisant ces familles d’événements similaires et la méthode corrélation de bruit sismique, nous avons mis en évidence et localisé des variations de vitesse complexes dans la structure du Merapi avant les éruptions de 2010 (Budi-Santoso, 2014).

11) J’ai analysé 15 années d’enregistrement sismique continu du volcan de Colima, Mexique, avec des méthodes de corrélation de bruit et d’étirement. J’ai montré notamment que les principaux séismes tectoniques régionaux produisent de brusques diminutions de vitesse suivies de retours aux valeurs initiales proportionnellement au logarithme du temps. L’amplitude des variations est proportionnelle au logarithme de l’amplitude des ondes sismiques. La diminution de vitesse a atteint 2.6 % lors du séisme proche de Tecoman (M7.4). En combinant des méthodes de localisation, j’ai montré que la perturbation de vitesse est concentrée dans les couches superficielles (< 800 m) de la structure volcanique et qu’elle est très faible en dehors du volcan. L’interprétation la plus plausible est l’effet du comportement élastique non linéaire des matériaux volcaniques granulaires et de leur affaiblissement dû aux déformations transitoires (Lesage et al., 2014).