Les failles actives du Briançonnais : entre tectonique des plaques européennes et équilibre isostatique de la chaîne des Alpes

Des mesures géodésiques effectuées dans le Briançonnais depuis 1996 par une équipe française, menée par des chercheurs de l’ISTerre, permettent de quantifier les déplacements de cette région des Alpes. Les mouvements horizontaux sont associés aux mouvements des plaques Adriatique et Europe par le jeux des failles actives du Briançonnais, tandis que les mouvements verticaux sont en relation avec la dynamique des interactions entre lithosphère et manteau en profondeur. Ces travaux sont publiés dans la revue Journal of Geodynamics d’avril 2015.

Un réseau dense de 30 repères géodésiques repartis sur une surface de 50 x 60 km² dans la région de Briançon, Alpes du Sud-Ouest, a été mesuré lors de 3 campagnes GPS successives, en 1996, 2006 et 2011. Le but de ces recherches est de quantifier la déformation actuelle dans cette zone sismiquement active. La région de Briançon est caractérisée par une sismicité relativement importante dans le cadre français (elle est la zone la plus active en France métropolitaine) localisée le long de failles actives orientées globalement NNW-SSE. Les caractéristiques mécaniques des séismes indiquent majoritairement une extension E-W, avec une composante mineure en mouvement latéral dextre.

Antenne GPS sur un mat de mesure vissé sur un repère à centrage forcé.
Le repère est installé dans un affleurement de roche au Col de Vars dans le Briançonnais. Le récepteur GPS se trouve dans la caisse protégée par une bache. Il est alimenté par le panneau solaire appuyé sur la caisse. © Matthieu Hensen
Antenne GPS sur le site du Col Agnel.
© Matthieu Hensen
Site de la Croix de Toulouse.
Le récepteur GPS est le boitier bleu dans la caisse grise. Il est alimenté par deux batteries de voiture qui sont elles chargées par le panneau solaire. L’antenne GPS est installée sur un repère à vis sur la roche. Elle est connectée par un cable avec le récepteur. © Matthieu Hensen

L’analyse combinée des trois campagnes de mesures locales sur une période de 15 ans, associée à 16 ans de données du réseau national de GPS permanents (RENAG), a permis de quantifier des vitesses horizontales très faibles de l’ordre de quelques dixièmes de mm/an dans la région de Briançon. L’intervalle de temps important couvert par les observations et la redondance entre les stations proches à l’intérieur du réseau de campagne permettent de définir un schéma de déformation local significatif dans la région du Briançonnais, de 16 ± 11 nanostrain/an en extension E-W, soit environ 0.5 mm/an d’extension sur la largeur de 30 km du réseau GPS. Si cette déformation à 0.5 mm/an est cumulée sur une seule faille de moins de 10 km de longueur, elle peut donner lieu à un séisme de magnitude 5 tous les 100 ans, ce que l’on observe dans la région d’étude.

Par ailleurs, le champ de déformation géodésique est cohérent, aussi bien pour l’amplitude que pour la direction, avec le taux de déformation sismique cumulé sur une quarantaine d’années. Avant cette étude, les mesures géodésiques excédaient le taux de déformation sismique, ce qui impliquait soit l’existence d’une lacune, d’un retard de sismicité, soit que la déformation se produise par des glissements asismiques, sans donner lieu à des séismes. Dans le cas d’une lacune sismique on pouvait craindre une activité sismique accrue dans un avenir indéterminé. Cette étude montre maintenant que la sismicité locale dans la région de Briançon peut expliquer la totalité de la déformation mesurée par GPS.

De plus, la déformation horizontale localisée dans la région du Briançonnais représente la majeure partie du mouvement relatif entre les plaques tectoniques Adriatique et Européenne. Ce mouvement très faible est estimé de 0 à 0.5 mm/an d’extension E-W et éventuellement une légère composante de mouvement latéral dextre, en fonction de la localisation du pôle de rotation de la plaque Adriatique qui n’est pas encore connue précisément. Les failles actives du Briançonnais pourraient donc jouer un rôle important dans la cinématique des plaques européennes.

Séismes de magnitudes 1-5 enregistrés par le réseau Sismalp entre 1986 et 2002.
Le rectangle noir indique la région d’étude autour de Briançon. Les étoiles jaunes correspondent à trois localisations publiées du pôle de rotation anti-horaire de la plaque adriatique (qui comprend la plaine du Pô et dont les limites ouest et nord sont localisées dans la chaîne des Alpes) par rapport à l’Europe stable. © Walpersdorf et al. 2015

En termes de mouvements verticaux, les mesures montrent une surrection du réseau de l’ordre de 1 à 2 mm/an, soit 10 fois plus rapide que les mouvements horizontaux. Cette surrection est cohérente avec des observations à l’échelle de l’arc alpin où elle est localisée au centre de la chaîne dans les zones de haute topographie. Si les mouvements latéraux des failles actives du Briançonnais peuvent s’expliquer par le mouvement relatif en rotation des plaques européenne et adriatique, les mouvements de surrection, associés à une tectonique extensive, s’interprètent par un rôle prépondérant des forces de volume (isostasie) intrinsèque à la structure de la croûte au niveau des Alpes. Ces dernières mettent en jeux à la fois des processus profonds (dynamique de subduction car des pans de la plaque Afrique sont passées sous l’Europe au cours des dernières dizaines de millions d’années, interaction croute-manteau) et des processus de surface (rebond postglaciaire, réponse isostatique à l’érosion). Les mesures GPS sur la longue durée pourront donc apporter des premières contraintes sur des interactions entre la croûte terrestre et le manteau qui semblent représenter une part significative de la déformation dans un contexte d’activité tectonique lente.

Zoom sur la région d’étude autour de la ville de Briançon.
Les mécanismes au foyer des séismes (cercles remplis de segments noir et blanc) correspondent pour une majeure partie à des mouvements en extension est-ouest. Les lignes vertes et bleues représentent les failles actives. Les stations GPS permanentes sont indiquées par des cercles jaunes, les 30 stations du réseau de campagne par des cercles orange. © Walpersdorf et al. 2015
Champ de vitesses horizontales des stations GPS
L’insert montre le cadre fourni par les stations GPS permanentes dans et autour des Alpes. Toutes les vitesses sont largement inférieures à 1 mm/an par rapport à l’Europe stable. Dans la zone d’étude (graph principal), deux groupes de stations peuvent être identifiées, une dans la partie ouest du réseau avec des vitesses en direction du Nord-Ouest (flèches vertes) et une dans la partie est avec des vitesses en direction du Nord-Est (flèches rouges). La double flèche violette indique l’extension est-ouest qui en résulte, avec une valeur de 16 nanostrain/an qui correspondent à 0.5 mm/an sur la largeur de 30 km du réseau à cet endroit. © Walpersdorf et al. 2015
Champ de vitesses verticales des stations GPS.
L’insert montre le contexte régional avec des vitesses verticales proches de zéro dans l’avant-pays alpin et des vitesses en surrection au centre de la chaîne alpine. Seules les stations de plus de 8 ans sont représentées. Le graph principal montre des vitesses en surrection en rouge et en subsidence et vert dans la région du Briançonnais. Malgré le bruit dû au court intervalle de temps entre les mesures sur les repères à vis du réseau Briançon, le mouvement moyen de toutes les stations montre aussi une légère surrection comme observée à l’échelle régionale.
Contact scientifique local
 Andrea Walpersdorf, ISTerre-OSUG

Cette actualité est également relayée par
 L’Institut National des Sciences de l’Univers du CNRS - INSU (source)

Source(s) :
Coherence between geodetic and seismic deformation in a context ofslow tectonic activity (SW Alps, France), A. Walpersdorfa,∗, C. Sueb, S. Baizec, N. Cottea, P. Bascoua, C. Beauvala, P. Collardd,G. Daniela,b, H. Dyera,e, J.-R. Grassoa, O. Hautecoeurf, A. Helmstettera, S. Hoka,c, M. Langlaisa, G. Menarda, Z. Mousavia,g, F. Pontona, M. Rizzah, L. Rollandi, D. Souamij,k,L. Thirardl, P. Vaudeya, C. Voisina, J. Martinoda - Journal of Geodynamics (2015). Lire l’article (en anglais)
a - ISTerre, Univ. Grenoble Alpes, CNRS,
b - Chrono-Environnement, CNRS, Univ. de Franche-Comté, Besançon
c - IRSN/PRP-DGE/SCAN/BERSSIN, Fontenay-aux-Roses
d - Géosciences Montpellier, Univ. Montpellier II, CNRS,
e - IMSRN, Montbonnot-Saint-Martin,
f - EUMETSAT, Eumetsat, Darmstadt, Allemagne
g - National Cartographic Center, Tehran, Iran
h - CEREGE, Univ. Aix-Marseille, CNRS, Europôle Méditerranéen de l’Arbois, Aix-en-Provence
i - Géoazur, Univ. Nice-Sophia Antipolis, CNRS, Sophia Antipolis,
j - Univ Pierre et Marie Curie, Paris, France
k - NAXYS, Univ. Namur, Belgique
l - INSA, Strasbourg

Mis à jour le 6 mai 2015