Que deviennent les nanoparticules d’argent présentes dans les boues de station d’épuration après épandage sur les sols ?

Les nanoparticules d’argent (nanoAg), présentes dans les produits de consommation courante comme les textiles ou les produits de soin corporel, se retrouvent dans les eaux usées, et au final dans les sols agricoles qui reçoivent des boues de station d’épuration comme fertilisants. Les résultats de cette étude battent en brèche l’idée répandue que les Ag-NPs se transforment en une forme non soluble et donc non toxique, le sulfure d’argent (Ag2S). Une combinaison originale de techniques d’imagerie spectroscopique a mis en évidence la présence de complexes Ag-thiol, ainsi que des sulfures métalliques mixtes. Si l’argent reste très peu biodisponible au bout de quatre semaines de culture de plantes, les processus à plus long terme liés à l’activité biologique dans les sols, comme biodégradation de la matière organique ou la mobilisation d’éléments nutritifs par les organismes vivants, pourraient remobiliser cet élément métallique toxique.

Les nanoparticules d’argent (nanoAg) sont présentes dans une grande variété de produits de consommation courante pour leurs propriétés bactéricides (http://www.nanotechproject.org/). Elles sont facilement lessivées de ces produits et se retrouvent dans les stations d’épuration (STEP). Les nanoAg se concentrent ensuite dans les boues produites. La sulfuration, réaction qui se produit au cours du traitement des eaux usées et aboutit à la formation de sulfure d’Ag (Ag2S) réduit fortement la toxicité des nanoAg [1]. En Europe, environ 40% des boues de STEP sont épandues sur les sols agricoles comme fertilisants. Le but de cette étude était de déterminer le devenir des nanoAg ayant subi un traitement d’épuration, après épandage de la boue sur un sol agricole et culture de plantes (blé et colza), ainsi que l’impact sur la qualité du sol et des plantes et le possible transfert des nanoAg dans la chaîne alimentaire.

Cette étude associant ISTerre, le CEA, le CEREGE et l’EAWAG (Suisse), financée par le Labex Serenade et le réseau COST ENTER et s’appuyant sur les outils de l’EquipEx nanoID et l’ESRF, a débuté par la production de boue contaminée. La culture des plantes en pot sur le sol amendé a été réalisée à ISTerre. L’étude par spectroscopie EXAFS réalisée sur la ligne FAME de l’ESRF a confirmé que Ag2S (sous forme nano et micrométrique) était bien la forme principale d’argent dans la boue et le sol amendé (Figure 1). Cependant, d’autres phases ont été identifiés : des complexes Ag-thiols et/ou du Ag2S amorphe.

Les analyses par microfluorescence X (µXRF) et nanoXRF réalisées sur les lignes ID21 et ID16b de l’ESRF ont révélé des agrégats d’Ag de taille nanométrique et micrométrique distribués dans le sol résultant de phénomènes d’hétéroagrégation, ainsi que des zones diffuses correspondant à des ions Ag complexés à la matière organique (Figure 2). Les analyses par micro et nanoXANES sur les mêmes lignes ont confirmé la présence de Ag-thiols, et mis en évidence des sulfures métalliques mixtes (Ag, CuS). La solubilité de ces différentes phases est probablement différente de celle de la phase pure, macrocristalline de Ag2S, réputé insoluble. La possibilité de relargage d’Ag sous l’effet de l’activité biologique du sol et des plantes devrait être étudiée sur le long terme. Dans cette expérience, après quatre semaines de culture, Ag n’était pas détectable par ICP-MS dans l’eau porale, et était très faiblement biodisponible (moins de 0.06% et 0.04% d’extraction par le DTPA et CaCl2, respectivement). Cependant, un impact sur la croissance des plantes a été observé pour le blé, ainsi qu’un impact sur l’activité microbiologique (Pradas del Real et a. en préparation).

Figure 1.
Données EXAFS au seuil K de Ag pour la boue et le sol avant (T0) et après (TF) culture de plantes. La simulation par combinaisons linéaires (a) a permis de déterminer les pourcentages des espèces (c, Ag2S en bleu eu Ag-thiol et/ou Ag2S amorphe en orange). La simulation des couches (b) a fourni les paramètres structuraux.
Figure 2.
Cartographies élémentaires obtenue par µXRF et nanoXRF dans le sol planté par le colza à différentes résolutions. Une association préférentielle de Ag avec la matière organique (particules riches en S) est observée. Les sulfures mixtes sont indiqués par des cadres rouges 1, 2 et 3 en d, e, f. Sur d, les zones diffuses en gris clair correspondent à Ag dissous et complexé à la matière organique. Cartographies élémentaires obtenue par µXRF et nanoXRF dans le sol planté par le colza à différentes résolutions. Une association préférentielle de Ag avec la matière organique (particules riches en S) est observée. Les sulfures mixtes sont indiqués par des cadres rouges 1, 2 et 3 en d, e, f. Sur d, les zones diffuses en gris clair correspondent à Ag dissous et complexé à la matière organique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces résultats montrent que le devenir des nanoAg dans les boues et les sols est plus complexe qu’une simple réaction de sulfuration. Les données obtenues montrent que les développements instrumentaux récents permettent de relever le défi de l’étude des nanoparticules à des doses réalistes dans des systèmes naturels. Les résultats obtenus permettent de mieux évaluer le risque associé aux nanomatériaux, et de fournir des bases scientifiques pour la mise en place d’un cadre législatif adapté.

 Publication associée :
Fate of Ag-NPs in sewage sludge after application on agricultural soils, A.E. Pradas del Real (a,b), H. Castillo-Michel (b), R. Kaegi (d), B. Sinnet (d), V. Magnin (a), N. Findling (a), J. Villanova (b), M. Carrière (e,f), C. Santaella (g), A. Fernandez-Martinez (a), C. Levard (h), G. Sarret (a), Environ. Sci. Technol. 50, 1759–1768 (2016) ; doi : 10.1021/acs.est.5b04550.
(a) ISTerre (Institut des Sciences de la Terre), Université Grenoble Alpes and CNRS, Grenoble (France)
(b) ESRF
(d) Eawag, Particle Laboratory, Dübendorf (Switzerland)
(e) Université Grenoble Alpes, INAC-SCIB, Grenoble (France)
(f) CEA, INAC-SCIB, Grenoble (France)
(g) Lab Ecol Microb Rhizosphere & Environ Extrem, UMR 7265 CEA-CNRS-Aix Marseille Université, CEA Cadarache, Saint Paul Les Durance (France)
(h) Aix-Marseille Université, CNRS, IRD, CEREGE UM34, Aix en Provence (France)

 Contact scientifique :
Ana Elena Pradas del Real, ana.pradas -AT- univ-grenoble-alpes.fr

[1Référence : Levard, C. ; Hotze, E. M. ; Colman, B. P. ; Dale, A. L. ; Truong, L. ; Yang, X. Y. ; Bone, A. J. ; Brown, G. E. ; Tanguay, R. L. ; Di Giulio, R. T. ; Bernhardt, E. S. ; Meyer, J. N. ; Wiesner, M. R. ; Lowry, G. V., Sulfidation of Silver Nanoparticles : Natural Antidote to Their Toxicity. Environ. Sci. Technol. 2013, 47 (23), 13440-13448.