Prédiction des éruptions, la visco-élasticité entre en jeu

Le volcan islandais Bárðarbunga a rejeté en 2014 plus d’un
kilomètre cube de magma durant six mois.
© Magnus T. Gudmundsson, Nordvulk, University of Iceland

Les éruptions volcaniques de grande ampleur, qui durent plusieurs mois et rejettent un volume important de magma, un kilomètre cube au minimum, sont souvent difficiles à prévoir. En cause, des signes précurseurs trop faibles que les outils de prévision actuels n’enregistrent pas. Un nouveau modèle conceptuel prenant en compte des facteurs encore peu exploités pourrait changer la donne et permettre de mieux prévoir le risque volcanique.

Il reste accumulé à plusieurs kilomètres sous terre pendant des années… Et pourtant le magma n’a besoin que de quelques jours pour rompre sa zone de stockage, la croûte terrestre, puis s’écouler à la surface. Difficile ainsi de prévenir des éruptions de grande ampleur, telle celle du volcan islandais Bárðarbunga en 2014 qui a évacué deux kilomètres cubes de magma six mois durant.

« Les signaux précurseurs de cette éruption étaient trop faibles pour être pris en compte par les modèles traditionnels, explique Virginie Pinel, géophysicienne de l’IRD à l’UMR ISTerre [1] / OSUG. Ces modèles sont dits élastiques ou réversibles, c’est-à-dire qu’ils considèrent que la croûte terrestre se déforme instantanément sous la contrainte du magma : elle gonfle en surface du fait de l’accumulation de magma avant l’éruption puis s’affaisse rapidement lors de l’éruption pour former potentiellement une caldeira. Or, les roches peuvent se comporter différemment et sur des temps bien plus longs. Connaître davantage ces réactions est essentiel pour mieux anticiper les éruptions. »

Une croûte terrestre visqueuse

La scientifique propose pour ce faire d’utiliser un nouveau modèle visco-élastique prenant en compte le caractère visqueux de la croûte terrestre, c’est-à-dire sa capacité à se déformer au fil du temps lorsqu’une contrainte est appliquée. Ce modèle intègre trois nouveaux facteurs dont la prise en compte est importante pour expliquer une éruption. Le premier est la densité du magma : plus léger que la roche qui l’entoure, il se dirige vers le haut du fait de la poussée d’Archimède. Cette force, de plus en plus importante, s’accumule dans la zone de stockage et peut conduire à sa rupture.

Éruption du volcan Bárðarbunga, le 14 septembre 2014
© Jeffrey Alan Karson, Syracuse University USA

Deuxième facteur capital : l’apport en magma. En s’amoncelant dans le réservoir, ce dernier crée une surpression sur l’ensemble de sa surface. Si ce processus dure plusieurs dizaines, voire des centaines d’années, cette force est temporisée par le comportement ductile ou visco-élastique de la roche. Le réservoir s’agrandit au fur et à mesure de l’arrivée de magma, sans se fracturer. C’est la combinaison de ces deux contraintes sur le très long terme qui conduit à la rupture du réservoir et à l’éruption.

« Au fur et à mesure que le magma s’accumule, et même si l’espace de stockage s’agrandit, la poussée d’Archimède s’accroît jusqu’à atteindre le seuil de résistance du réservoir !, poursuit la chercheuse. Il suffit donc qu’une petite quantité de magma arrive en quelques jours après des centaines d’années de stockage pour qu’il brise le réservoir et s’écoule à la surface. C’est ce qu’il s’est passé pour le volcan Bárðarbunga qui nous a servi de modèle. Nous n’avons pas pu anticiper l’amplitude de son éruption : sans mesures fines des déformations de la croûte terrestre sur le long terme, il est très difficile de mettre en évidence une accumulation de magma s’effectuant sur plusieurs centaines d’années. »

Du magma qui s’écoule durablement

Dernier et troisième facteur de risque volcanique pris en compte : l’écoulement prolongé du magma pendant plusieurs mois. Lors de l’éruption, celui-ci érode la croûte formée par l’accumulation de résidus magmatiques. Le magma empêche ainsi la fermeture élastique du conduit par lequel il est passé et le maintient ouvert malgré la dépressurisation du réservoir magmatique. Cette ouverture a ainsi permis au volcan Bárðarbunga de laisser s’écouler du magma pendant plus de six mois.

Prendre en compte la combinaison de ces trois facteurs permet pour la première fois d’expliquer les éruptions de grande ampleur aux signaux précurseurs peu perceptibles. Intégrés aux modèles de prévision, ils pourront être utilisés pour mieux appréhender le risque volcanique.


Référence

Nature Communications, 15 mai 2020
Unexpected large eruptions from buoyant magma bodies within viscoelastic crust
Freysteinn Sigmundsson, Virginie Pinel, Ronni Grapenthin, Andy Hooper, Sæmundur A. Halldórsson, Páll Einarsson, Benedikt G. Ófeigsson, Elías R. Heimisson, Kristín Jónsdóttir, Magnús T. Gudmundsson, Kristín Vogfjörd, Michelle Parks, Siqi Li, Vincent Drouin, Halldór Geirsson, Stéphanie Dumont, Hildur M. Fridriksdottir, Gunnar B. Gudmundsson, Tim Wright et Tadashi Yamasaki,

Contact scientifique local
 Virginie Pinel, ISTerre/ OSUG

Cet article, rédigé par Carole Filiu Mouhali, a initialement été publié par IRD le Mag’.

[1IRD / CNRS / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont Blanc / Université Gustave Eiffel