Quand la dynamique des paysages sculpte la biodiversité

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Kachemak Bay © Alaska ShoreZone Program NOAANMFSAKFSC ; Courtesy of Mandy Lindeberg, NOAAN
Le mouvement des rivières, des montagnes, des océans et des sédiments, à l’échelle des temps géologiques, est un élément central de l’évolution de la biodiversité sur Terre. Cette étude, publiée dans Nature, a impliqué le laboratoire ISTerre [1] (membre de la fédération OSUG) et l’Université de Sydney.

La surface de la Terre est la peau vivante de notre planète : elle relie les systèmes physiques, chimiques et biologiques. Au cours des temps géologiques, cette surface évolue au gré des cours d’eau, qui ne se contentent pas de creuser des canyons et de former des vallées, ils sont aussi les principaux vecteurs du transfert de sédiments et de nutriments depuis les montagnes vers les plaines continentales et les océans.

Cette étude propose l’hypothèse que ce n’est ni la géodynamique ni le climat, mais bien leur interaction qui, en régulant les reliefs et les flux sédimentaires, détermine l’évolution à long terme de la biodiversité.

Pour tester cette hypothèse et grâce à des reconstructions de climats anciens et de tectonique des plaques, l’équipe de recherche a pour la première fois reconstruit numériquement l’évolution du paysage terrestre et de l’histoire sédimentaire des derniers 540 millions d’années. Ces jeux de reconstructions uniques (une cartographie du relief, du réseau hydrographique, des flux hydriques et sédimentaires au cours des temps géologiques) sont mis à disposition de la communauté scientifique

Les chercheurs ont ensuite comparé ces résultats à des reconstructions paléontologiques de la biodiversité marine et continentale au cours d’une très longue période géologique de 540 millions d’années, et les résultats suggèrent que la biodiversité dépend très fortement de la dynamique du paysage, qui détermine à tout moment la capacité de charge des domaines continental et océanique, c’est-à-dire le nombre maximal d’espèces différentes qu’ils peuvent contenir à chaque instant.

En haut : reconstitution des flux de sédiments vers les océans par rapport à la diversité des animaux marins. En bas : couverture sédimentaire dans les régions continentales par rapport à la tendance à long terme de la diversité des plantes terrestres.

Dans les océans, la diversité s’est étroitement ajustée au flux sédimentaire d’origine continentale qui fournit les nutriments nécessaires à la production primaire. L’accroissement du flux sédimentaire qui a suivi l’éclatement de la Pangée explique la « révolution marine du Cénozoique  ». Plus surprenant encore peut être, les épisodes d’extinctions de masse dans les océans se sont produits peu après que le flux sédimentaire ait baissé fortement, suggérant que le déficit de nutriment déstabilise la biodiversité et le rend particulièrement vulnérable à des évènements catastrophiques, comme une crise volcanique ou l’impact d’un astéroïde.

Sur les continents, il a fallu attendre que leur surface se couvre progressivement de bassins sédimentaires pour que les plantes puissent se développer et se diversifier, grâce au développement des systèmes racinaires plus élaborés. Cette lente expansion de la flore terrestre a par ailleurs été stimulée lors d’épisodes tectoniques durant lesquels les environnements et habitats variés offrent les conditions propices au développement de la flore.
Par exemple l’avènement des plantes à fleurs il y a quelques 100 millions d’années, qui constituait pour Darwin un « abominable mystère » pourrait être dû au fait qu’à cette période, les continents étaient couverts par de nombreux bassins sédimentaires mais aussi que les paysages sont devenus très variés avec la formation de chaînes de montagnes qui auraient permises le développement de nombreuses espèces, chacune dans leur environnement le plus adapté, sans entrer en concurrence les unes avec les autres.


Références

T. Salles, L. Husson, M. Lorcery, B. H. Boggiani
Landscape dynamics and the Phanerozoic diversification of the biosphere, Nature, 2023
DOI : 10.1038/s41586-023-06777-z

Contact scientifique local

 Laurent Husson, chercheur CNRS à ISTerre / OSUG I laurent.husson univ-grenoble-alpes.fr

Cet articlea initialement été publié par le CNRS-INSU.

[1Institut des sciences de la Terre, unité mixte de recherche du CNRS, de l’Université Grenoble Alpes, de l’Université Savoie Mont Blanc, de l’IRD et de l’Université Gustave Eiffel