Quand les mathématiques aident à révéler les structures cachées de la croûte terrestre

Photo du navire marin en opération au large du Japon qui collecte des données sismiques. Credits : JAMSTEC/IODP
Dans des zones complexes telles que les zones de subduction, où les plaques tectoniques se chevauchent, caractériser la géométrie et les propriétés physiques des structures du sous-sol avec précision est un enjeu majeur pour une meilleure compréhension de la géologie et de la tectonique locale, qui est à l’origine de séismes de grande magnitude.

Pour construire de telles images du sous-sol, on s’appuie sur l’acquisition de données sismiques grand angle : des stations sismiques placées sur le fond de mer enregistrent la propagation des ondes sismiques générées par des sources actives tractées par des bateaux. Ces données doivent ensuite être interprétées par une méthode d’imagerie sismique haute résolution : l’inversion des formes d’ondes. Cette étape est cependant difficile, notamment en raison du fort bruit dans les données sismiques enregistrées parfois à plus de 130 km de distance de la source, et à cause de la forte non-linéarité du problème mathématique sous-jacent. En pratique, une première estimation des propriétés du sous-sol doit d’abord être construite par des méthodes d’imagerie "conventionnelles" basée sur les temps d’arrivées, et qui permettent d’obtenir une image "floue" des structures. Cette étape requiert en général beaucoup de temps de traitement car il faut pointer "à la main" les temps d’arrivée des ondes directement dans les sismogrammes, ce qui exige temps et expertise d’identification. Pour certaines zones, ce pointé s’avère parfois très délicat et ambigu, et le résultat de tomographie sujet à caution.

Pour éviter cette première étape de tomographie des temps, nous avons proposé une reformulation de la méthode d’inversion des formes d’ondes, qui s’appuie sur un outil issu de recherches récentes en mathématiques : une distance de transport optimal. Cette distance est utilisée pour comparer les données sismiques enregistrées avec celles calculées pendant l’inversion des formes d’ondes. Les propriétés mathématiques de cette mesure de similitude de deux "objets" permettent de réduire significativement la non-linéarité de l’inversion des formes d’ondes. Cela permet ainsi de s’affranchir de la construction d’un modèle initial flou par tomographie des temps et donc des pointés.

Nous avons mis en œuvre cette stratégie pour l’inversion de données de stations sous-marines enregistrées dans le secteur de la fosse de Nankai, une zone de subduction située au large du Japon. Nos résultats montrent comment, en partant d’un modèle initial simpliste variant seulement avec la profondeur, nous pouvons produire une image haute résolution du sous-sol et expliquer les données observées avec grande précision.

Ces résultats sont très encourageants d’un point de vue méthodologique et applicatif. La plupart des applications d’imagerie du sous-sol à cette échelle crustale profonde repose encore sur des méthodes conventionnelles de tomographie de temps dont le pouvoir résolvant est assez faible. De plus, les quelques applications d’inversion des formes d’ondes à ces échelles ont toujours mis en avant la nécessité d’une première phase de tomographie très précise et chronophage, pour produire des images haute résolution fiables. Nous montrons par cette étude que l’on peut s’affranchir ou significativement simplifier cette première étape, ce qui devrait dans le futur permettre une utilisation plus systématique de méthodes d’imagerie par formes d’onde à ces échelles. Forts de ce premier succès, nous sommes en train d’appliquer la même stratégie sur une ligne sismique acquise à proximité de la première. A plus long terme, notre objectif est une imagerie haute résolution à trois dimensions de la zone de subduction de Nankai utilisant simultanément les différents profils sismiques acquis par le JAMSTEC depuis une vingtaine d’année.

Cette publication a été retenue comme Editor’s Highlight de l’AGU.
Pour le consulter, cliquez ici.



Comparaison des ajustements de données pour a) les modèles initiaux et b) les modèles reconstruits. Les données observées sont représentées en noir tandis que les données prédites par les deux modèles sont représentées en bleu/rouge.
Crédit : Górszczyk et al. [2021], Figure 4

Référence

Andrzej Górszczyk, Romain Brossier, & Ludovic Métivier. : Graph-space optimal transport concept for time-domain full-waveform inversion of ocean-bottom seismometer data : Nankai Trough velocity structure reconstructed from a 1D model. Journal of Geophysical Research : Solid Earth, 2021. DOI

Contacts scientifiques

 Andrzej Górszczyk, ISTerre
 Romain Brossier, ISTerre
 Ludovic Métivier, ISTerre