Thèmes de recherche

**Complexité et Dynamique de l’endommagement et de la rupture, Mécanique, sismicité et invariance d’échelle des objets géologiques.

Le comportement mécanique des roches, pour des échelles allant de celle de l’échantillon de laboratoire à celle de la croûte terrestre, est souvent décrit comme complexe, terme couramment employé comme synonyme de compliqué. Cette complexité tient d’une part à la diversité des comportements mécaniques observés pour les roches, (élastique/plastique, fragile/ductile, endommageant, visqueux,…) et d’autre part aux nombreux paramètres influençant le comportement mécanique. Il peut s’agir de paramètres liés à la composition du matériau rocheux (minéralogie, microstructure, densité, distribution de fissuration), ou aux conditions de chargement (pression, température, vitesse de déformation), ou encore aux interactions hydromécaniques et physico chimiques avec les fluides occupant tout ou partie de l’espace poreux (eau, gaz, pétrole). Ainsi une même roche pourra montrer un comportement fragile ou ductile selon les conditions de chargement (vitesse de déformation, confinement, température, saturation en eau). La complexité tient également aux processus de déformations à petite échelle (propagation de fissures, plasticité par saut de dislocation, par glissement sur des discontinuités) qui interagissent entre eux et dont il est difficile d’estimer l’effet collectif sur le comportement mécanique macroscopique.

La complexité du comportement mécanique apparaît également au sein même du processus de déformation. Lors de la sollicitation mécanique du matériau rocheux, la déformation globale comporte des déformations inélastiques localisées qui peuvent être quantifiées par le biais de l’onde élastique de déformation et de contrainte émise [Lockner, 1993]. On l’observe aussi bien à l’échelle crustale (sismicité), qu’à l’échelle des massifs rocheux (microsismicité) qu’à celle des échantillons de laboratoire (émission acoustique, EA). A ces différentes échelles, la sismicité montre à la fois une imprédictibilité de chaque évènement pris individuellement (taille, lieu et temps d’occurrence) et une prédictibilité statistique (raccordement à des lois statistiques bien identifiées). En effet, on observe des distributions en loi puissance particulièrement robustes dans les trois domaines de la taille des événements sismiques [Gutenberg and Richter, 1954], de leur répartition spatiale [Hirata et al., 1987 ; Eneva, 1994] et temporelle [Omori, 1894 ; Hirata, 1987 ; Legrand et al., 1996]. Ces distributions indiquent une invariance d’échelle c’est à dire une absence de taille caractéristique et une corrélation entre différentes échelles. De même, l’observation de l’état d’endommagement de roches après déformation mécanique, telles que l’on peut les observer au voisinage des fractures, révèle des propriétés fractales (rugosité des surfaces de rupture, microstructure, …) [Marone and Scholz, 1989 ; Sammis and Biegel, 1989 ; Schmittbuhl et al., 1993 ; Boullier et al., 2004]. Ceci montre des invariances d’échelles et des corrélations spatiales à grande portée qui sont des indicateurs supplémentaires de la complexité des mécanismes de déformation et de rupture.

Pour mieux comprendre cette complexité, une voie consiste à intégrer l’ensemble des paramètres jugés pertinents dans le comportement élémentaire (propriétés mécaniques, processus micro-mécaniques, micro-structures) et à simuler le comportement mécanique ainsi obtenu. Cette approche se confronte à de nombreuses difficultés à la fois méthodologiques (estimations des paramètres, hiérarchisations des processus, description effective de la structure) et numériques (absence de méthode générale pour prendre en compte l’ensemble des processus). Pour ma part, j’ai choisi une voie alternative qui consiste a considérer que la complexité observée résulte de mécanismes simples à petite échelle qui par interaction élastique font émerger des propriétés macroscopiques complexes [Burridge and Knopoff, 1967 ; Bak et al., 1988 ; Zapperi et al., 1997a ; Zapperi et al., 1997b ; Hergarten and Neugebauer, 1998]. De ce point de vue les objets géologiques sont appréhendés comme des systèmes complexes.

L’objectif principal de ma recherche est d’améliorer la compréhension des mécanismes de déformation des objets géologiques, en particulier les processus qui mènent à la rupture. Ce travail s’intéresse à des échelles très étendues (échantillon de laboratoire, massif rocheux, croûte terrestre). J’associe dans ma démarche l’analyse des structures d’endommagement et de fracturation, laquelle donne une vue statique, et la sismicité qui donne accès à la dynamique de ces processus. Cette recherche s’est d’abord portée principalement sur des essais de laboratoire et sur la sismicité à l’échelle de la croûte terrestre. Ce travail a été associé à la modélisation numérique de l’endommagement et de la rupture. Cette recherche s’est progressivement tournée vers les massifs rocheux (instabilités gravitaires : mines souterraines et glissements de terrain), et la prise en compte du rôle des fluides dans leur déformation, tout en valorisant l’apport de l’écoute sismique pour l’étude de ces objets.

La Figure 1 présente de manière synthétique comment ces différents aspects se coordonnent entre eux. L’écoute sismique permet l’observation de la dynamique de l’endommagement et de la fracturation, induits par la sollicitation mécanique. Elle peut être déclenchée par des variations de pression de fluide (sismicité induite). Les fluides influent sur la déformation, à la fois par le biais de modification de l’état de contrainte et par les modifications des propriétés physiques et mécaniques du matériau roche. L’endommagement et la fracturation conditionnent les écoulements fluides par leur effet sur la perméabilité.

Sur l’ensemble de ces aspects, je développe une approche multi-échelle dans laquelle je mets en œuvre la démarche suivante : observation expérimentale, modélisation des données, simulation numérique. L’existence d’invariances d’échelle permet d’envisager une transposition de ces résultats à différentes échelles. Cette transposition n’est pas systématiquement possible. Par exemple, les précurseurs de la rupture observés en laboratoire n’ont toujours pas montré leur pertinence à l’échelle des massifs rocheux ou de la croûte terrestre. Il est donc nécessaire de rechercher les conditions dans lesquelles l’invariance d’échelle est vérifiée et les conditions limitantes.

L’analyse de structures d’endommagement obtenues en laboratoire [Amitrano and Schmittbuhl, 2002] ou prélevées dans des failles tectoniques [Boullier et al., 2004], ainsi que la comparaison entre la sismicité observé en laboratoire [Amitrano, 2003] ou dans la croûte terrestre [Sue et al., 2002] nous a permis de mettre en évidence des propriétés d’invariance d’échelle mais aussi leurs limitations (effet de taille finie ou de pré-structuration du matériau). Ceci permet d’identifier les facteurs favorisant ou limitant l’invariance d’échelle, qui rendent possible ou impossible la transposition des observations à différentes échelles.

J’ai développé également une approche de simulation numérique basée sur l’interaction élastique d’éléments au comportement simple. Selon cette approche, j’ai proposé un modèle numérique qui permet de simuler un comportement macroscopique varié (du ductile au fragile) à partir d’un comportement élémentaire simple [Amitrano et al., 1999 ; Amitrano, 2003]. Le recours à ce type de modèle a permis de montrer qu’un certain nombre d’observations relatives au comportement mécanique des roches peuvent être vues comme des propriétés émergentes d’un système complexe [Amitrano, 2004]. Une évolution de ce modèle a été réalisée récemment pour de prendre en compte l’effet du temps sur l’endommagement et permettre ainsi de simuler le comportement en fluage des roches [Amitrano and Helmstetter, 2006]. Les premiers résultats numériques ont déjà contribué à améliorer l’interprétation que nous pouvons faire d’essais de fluage sous conditions hydriques variables [Grgic and Amitrano, 2008].

Un autre volet de ma recherche consiste à caractériser l’évolution temporelle des propriétés statistiques dans le but d’identifier des comportements précurseurs. On s’appuie pour cela sur des travaux issus de la mécanique statistique - systèmes critiques [Zapperi et al., 1997a ; Guarino et al., 1998] ou critiques auto-organisés [Bak et al., 1988] – qui prévoient des comportements caractéristiques à l’approche de la rupture. Nous cherchons à identifier ces comportements pour les objets géologiques à travers les observables dont nous disposons (principalement la sismicité). Cette approche a donné des résultats intéressants dans le cas d’une falaise de craie [Amitrano et al., 2005], où nous avons mis en évidence plusieurs comportements annonciateurs d’un effondrement. Le modèle de fluage que nous avons développé reproduit ce type de comportement au cours de la phase tertiaire du fluage. Il nous permet de proposer que l’effondrement résulte de la phase ultime de fluage tertiaire.

Une deuxième partie de ma recherche, qui constitue une évolution thématique débutée depuis près de trois ans, consiste à intégrer plus explicitement le rôle des fluides dans le comportement mécanique des roches. Ce travail s’appuie sur deux approches complémentaires : l’étude de l’écoulement fluide dans les fractures rocheuses, et l’impact des fluides sur le comportement mécanique du matériau roche. Ce thème trouve ses principales applications dans les problèmes d’effondrements miniers liés à l’ennoyage, le stockage souterrain de déchets radioactif (laboratoire souterrain de l’Andra) et les instabilité de versant et glissement de terrain.

A partir d’observations in situ, sur le site de Coaraze dans les Alpes Maritimes, nous avons mis en évidence l’existence d’une sismicité haute fréquence induite par la mise en charge hydraulique du site. Nous avons élaborer un modèle numérique d’interaction fluide roche en 2D, qui permet d’expliquer cette sismicité par des instabilités dans l’ouverture des aires de contact dans les fractures rugueuses. Un passage en 3D de ce modèle est en cours pour permettre une simulation plus réaliste du couplage hydromécanique et le calcul d’un écoulement dans l’espace poreux de la fracture. Nous étudions également les propriétés statistiques de la structure de l’écoulement et ses relations avec le milieu poreux.

En complément de cette approche microscopique orientée vers les écoulements, je développe actuellement une approche macroscopique en considérant l’effet des fluides sur le comportement mécanique. Il s’agit dans un premier temps, du développement d’un modèle de comportement des roches à long terme, sur la base du modèle de fluage développé [Amitrano and Helmstetter, 2006]. L’effet des fluides sera intégré, d’une part, par la notion de contrainte effective avec prise en compte du terme de couplage hydromécanique [Biot, 1941], d’autre part, en considérant l’effet de l’hygrométrie sur la fissuration sous-critique (effets physico-chimique d’activation de la corrosion sous contrainte). Ce développement nécessite d’être adossé à une approche expérimentale en laboratoire, afin de déterminer les relations entre endommagement, perméabilité, coefficient de Biot (terme de couplage hydromécanique) et traçage hydrochimique. Ce dernier point permettra, en outre, d’interpréter physiquement les signaux hydro-chimiques observés sur les mouvements de versants.

Cette approche s’appuis sur un volet expérimentale qui permet de mettre en évidence les phénomènes mis en jeux et de quantifier les grandeurs caractéristiques. Ainsi, à l’échelle de l’échantillon de laboratoire, nous avons réalisé des essais de fluage à long terme (1 an) sur du minerai de fer soumis à une variation de teneur en eau. [Grgic et Amitrano, 2007] Nous montrons que le fait de passer d’une saturation partielle, même élevée, à une saturation complète engendre des modifications considérables du comportement mécanique en fluage. Ceci peut avoir des implications importantes pour les ouvrages soumis à des variations d’hygrométrie, tels que les galeries souterraines mais aussi pour les massifs rocheux ou les failles à faible profondeur soumis de ce fait à des variations de hauteur de nappes et donc de saturation partielle.

Ce thème s’inscrit dans le projet Triggerland, soutenu par l’ANR, dont l’objectif et de comprendre et simuler le comportement à long terme de versant rocheux en intégrant les principaux facteur déclenchant connus, et en particulier le rôle de l’eau.