Résultats

Le fil conducteur de mes travaux depuis 30 ans est la compréhension des interactions tectonique-relief-érosion dans une chaine de montagne, compréhension qui passe par une définition précise de ces interactions, une quantification d’observables reliées à ces interactions et des modélisations. J’ai progressé dans ce travail grâce à une focalisation continue sur ce thème, soutenue par la collaboration avec les membres du laboratoire, alors LGCA, dont j’ai été co-directeur pendant 10 ans. J’ai travaillé en particulier avec les membres de l’équipe que j’ai animée entre 1995 et 2010 et les 15 étudiants en thèse et 5 post-docs que j’ai encadrés. Depuis la création D’ISTerre, je bénéficie de collaborations renforcées concernant le cycle sismique et l’acquisition d’observations en continu sur l’érosion.
Du point de vue théorique :
A) J’ai montré que le relief de la chaine était à la fois fonction des caractéristiques mécaniques définissant un prisme tectonique et de la rigidité flexurale de la plaque lithosphérique sous-jacente (Ma thèse, 1984 ; Mugnier et Vialon, 1986) ;
B) nous avons développé une méthode de modélisation de la cinématique des systèmes chevauchant basé sur un système de failles branchées fonctionnant par une succession d’incréments (Thèse Endignoux, 1989 ; Endignoux et Mugnier, 1990) ; B2) et l’analyse des contraintes a permis de définir les conditions de réactivation et de distribution des déplacements le long des différents segments de failles (Thèse Huyghe, 1992) ; c). Une modélisation mécanique et cinématique des systèmes chevauchants a été développée en combinant les approches précédentes : le système de failles branchées fonctionne par une succession d’incrément dans un prisme à la limite de la rupture ; le relief de la chaine à la fois dépend de la tectonique et influence la distribution de l’activité des failles (Thèses Chalaron, 1994 et Leturmy, 1997 ; Chalaron et Mugnier 1993 ; Leturmy et al., 2000).
C) Nous avons confirmé grâce à des modélisations analogiques que le fonctionnement des failles au sein d’un prisme tectonique est influencé par la redistribution de matière en surface sous l’effet de l’érosion-sédimentation (Mugnier et al., 1997).
D) Les processus d’érosion-sédimentation ont été ajoutés dans la modélisation développée précédemment Chalaron et al., 1995 ; thèse Champel, 2004) et l’effet de l’intensité de l’érosion a ainsi pu être étudiée.
Cette approche théorique a permis de mieux comprendre la formation des bassins transportés (Leturmy et al. 2000), de montrer que la proportion des réactivations hors séquence par rapport à la convergence totale était un paramètre permettant de définir l’efficacité de l’interaction entre tectonique et érosion (Mugnier et al., 1999b) et de lier la migration du bassin d’avant-pays à la propagation du système chevauchant (Mugnier et Huyghe, 2006).

Nous avons appliqué ce résultat à l’Himalaya en acquérant des données pour quantifier les réactivations hors séquence :
A) Nous avons quantifié les vitesses de convergence actuelle (Bilham et al., 1997) et sur de plus longues périodes ;
B) Nous avons prouvé l’existence de chevauchements hors-séquence à différentes échelles temporelles :
- à une échelle cumulant plusieurs cycles sismiques, entrecoupée par des phases de latence (Mugnier et al., 1998) ;
- à l’échelle de ruptures sismiques situées dans la chaîne (Mugnier et al., 2005, manuscrit déposé avant le séisme du Cachemire qui a confirmé cette prédiction ; Mugnier et al., 2013 ; Vignon et al., submitted) ;
 sur de longues périodes, les réactivations hors séquence du MCT sont limitées (Robert et al., 2009 ; 2011).
Au total nous montrons que la vitesse de convergence est constante au cours du temps ( 19 mm/an dans l’Ouest Népal) tandis que la proportion de réactivation hors séquence fluctue au cours du temps ainsi que latéralement le long de la chaîne (Mugnier et al., 2004). De plus, la formation du relief Himalayen est également contrôlée par les processus lithosphériques affectant la plaque inférieure (Mugnier et Huyghe, 2006, Husson et al., 2014).
Pour étudier les périodes temporelles intermédiaires entre le cycle sismique et l’exhumation long terme :
A) nous avons étudié du point de vue théorique la formation des marqueurs fluviaux passifs (terrasses ; thèse Brocard, 2002 ; Brocard et al., 2003 ; Carcaillet et al., 2009) et actifs (caractéristiques morphologiques des lits de rivière ; thèse Attal, 2003) ;
B) l’utilisation des marqueurs actifs nous a permis de quantifier la composante hors- séquence en Bolivie (Mugnier et al. ; 2006).
C) nous avons utilisé les marqueurs passifs pour quantifier les déplacements sur le système de failles des Albanides (Guzman et al., 2013) et dans l’Ouest Himalaya (Vassallo et al., submitted).

En résumé : L’étude des chevauchements hors séquence (période d’activité ou d’inactivité, vitesse de déplacement) et de la migration du bassin d’avant-pays permet de définir des critères quantitatifs concernant les interactions "tectonique-relief-érosion". L’exemple Himalaya souligne cependant que les réactivations hors séquence ne sont pas les seuls processus tectoniques qui interagissent avec l’érosion : les zones de fortes altitudes à l’aplomb d’un système chevauchement sont également contrôlées par la géométrie en coupe du chevauchement basal (localisation des rampes), la géométrie en carte de la chaîne (en particulier dans les syntaxes) et les processus lithosphériques affectant la plaque inferieure. A l’échelle du cycle sismique, les chevauchements hors séquence interviennent également et leur étude ainsi que celle des l’évolution latérale de la géométrie du système de faille (Mugnier et al., 2013) doit être prise en compte dans l’estimation de l’aléa sismique dans une chaîne de collision (Mugnier et al., 2011).

Choix de 5 publications les plus significatives (références complètes)
1) Mugnier, J.L., Gajurel, A., Huyghe, P.Jayangandaperumal R., Jouanne F., Upreti, B., 2013, Structural interpretation of the great earthquakes of the last millennium in Central Himalaya, Earth-Science Reviews, 127, 30-47.
2) Mugnier, J.L. & Huyghe, P. 2006. The Ganges basin geometry records a pre-15 Ma isostatic rebound of Himalaya. Geology 34, p 445–448.
3) Mugnier, J. L., Huyghe, P., Leturmy, P. & Jouanne, F. 2004. Episodicity and rates of thrust sheet motion in Himalaya (Western Nepal). in "Thrust Tectonics and Hydrocarbon System", Mc Clay, Eds - A. A. P. G. Mem. 82, p. 91-114.
4) Mugnier, J. L., Baby, P., Coletta, B., Vinour, P., Bale, P. & Leturmy, P., 1997. Thrust geometry controlled by erosion and sedimentation : a view from analogue models. Geology, 25, p. 427-430.
5) Godon, C., Mugnier J.L., Fallourd, R., Paquette, J.L., Pohl, A., Buoncristiani J.F., 2013, The Glacier des Bossons protects Europe’s summit from erosion, Earth and Planetary Science Letters. http://dx.doi.org/10.1016/j.epsl.2013.05.018.