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Etant sismologue, intéressé par la déformation au sens large et la mécanique, et membre d’une équipe dont le centre d’intérêt est la géophysique des volcans, je me suis intéressé dans un premier temps à la structure des volcans, avec l’objectif de mettre au point des méthodes d’imagerie (sl) des structures à partir des données sismologiques disponibles dans les observatoires volcanologiques permanents. En effet la compréhension des processus mécaniques à l’œuvre dans l’édifice volcanique - notamment ceux qui contrôlent sa stabilité – dépend directement de la connaissance que nous avons des structures actives (failles et structures permettant le transfert du magma : réservoirs et conduits, dykes, sills) et de la distribution des masses à l’intérieur de l’édifice. Par ailleurs, la déformation sismogène ne représente qu’une partie de la déformation totale due à la mise sous pression de l’édifice volcanique par le magma – il est donc nécessaire d’étudier conjointement déformation de surface (mesurée par un réseau GPS permanent, par exemple), et sismicité. Enfin l’estimation de la stabilité des édifices volcaniques et la compréhension de leur déformation nécessite de se pencher sur le problème de la résistance des édifices et de la rhéologie des matériaux, notamment sur leur capacité à rendre compte des grandes déformations, qui ne peuvent pas être purement élastiques, mais comportent nécessairement une composante plastique.

**Méthodes d’imagerie sismique

Localisation en doubles différences

Figure 1 : Projection verticale de la sismicité localisée dans le flanc Sud du Kilauea (Got et al., 1994). Etoiles : localisations routinières réalisées par le HVO-USGS ; ellipses : localisations en doubles différences, réalisées avec des décalages temporels calculés par méthode interspectrale.

Les structures très sismogènes, comme il en existe sur les volcans très actifs ou en crise, ainsi que sur les grandes failles, produisent une sismicité dense. Lorsque cette sismicité est produite sous l’effet d’un déviateur des contraintes suffisant ou sur une faille préexistante, elle peut produire de nombreux séismes semblables dans un volume réduit. La similarité des formes d’ondes permet l’utilisation de méthodes d’intercorrélation ou interspectrales (dans le domaine des fréquences), qui permettent un calcul très précis des décalages temporels entre signaux issus de deux séismes (semblables) enregistrés à la même station. Le décalage temporel peut être calculé avec une précision de l’ordre de quelques millisecondes pour une fenêtre de 128 à 256 échantillons d’un signal (généralement non stationnaire en temps et fréquence) d’une fréquence dominante d’environ 10 Hz. La connaissance d’un nombre suffisant de décalages temporels calculés en des stations suffisamment bien positionnées par rapport aux séismes, permet de calculer leur position relative avec une précision de l’ordre de 10-100 mètres pour des microséismes enregistrés par un réseau local. Lorsque le rapport entre la distance inter-évènements et la distance hypocentrale est suffisant, on peut également estimer la position absolue, avec une précision bien moindre.
Cette méthode de localisation a d’abord permis de mettre en évidence la structure sismiquement active sous le flanc Est du Kilauea (Figure) et de comprendre mieux le fonctionnement de cette partie de l’édifice. Cette approche a été largement utilisée sur les volcans et les grandes failles actives ; elle est maintenant très répandue et connue sous le nom de « localisation en doubles différences ».

Tomographie en doubles différences

Figure 2 : Distribution spatiale des vitesses sismiques des ondes P à 6 km de profondeur calculées par inversion tomographique de temps d’arrivée de séismes. La carte montre les principaux éléments topographiques, les stations sismiques (triangles noirs) et les séismes utilisés (points blancs) pour la tomographie. Le modèle présenté est le plus simple qui ajuste les données (information a priori optimale pour les vitesses : longueur de corrélation 5 km, écart-type 1 km/s) (d’après Got et coll., 2008).

De la même façon que l’on peut préciser la structure active de l’intérieur d’un édifice volcanique en améliorant les localisations des séismes qu’il produit, on peut aussi préciser la distribution des masses et modules élastiques dans l’édifice en améliorant les méthodes de tomographie sismique. Pour cela nous avons mis au point un code tomographique permettant le calcul 3D des vitesses sismiques à partir de temps d’arrivée de séismes. Il comporte un calcul très précis des temps de parcours théorique, par interpolation du champ des temps de parcours (LaTorre et al., 2005 ; Monteiller et al., 2005) calculés par un algorithme Podvin-Lecomte (Podvin et Lecomte, 1993) , et un problème inverse correctement régularisé, utilisant une approche bayésienne (Tarantola et Valette, 1983).

L’utilisation d’une fonction de corrélation dans la matrice de covariance du modèle a priori permet un véritable filtrage du bruit sur l’estimation des vitesses sismiques, en recherchant les valeurs optimales de la longueur de corrélation et de l’écart-type des fluctuations de vitesses sismiques (hyper-paramètres de régularisation du problème inverse). La solution ainsi trouvée est à la fois précise et très stable (Monteiller et al., 2005). Cette inversion peut être effectuée aussi bien sur les temps d’arrivée que sur les décalages temporels ou les différences de temps d’arrivée.

Cette méthode de tomographie sismique a notamment été utilisée pour connaître la structure du Kilauea (Monteiller et al., 2005 ; Got et al.,2008), du Piton de la Fournaise (Prono et al., 2008), et du Popocatepetl (Berger et al., 2011).

 

**Etude de la stabilité des édifices volcaniques

Figure 3 :
Interaction entre édifice et croûte océanique, dans le cas des grands volcans hawaiiens (Mauna Loa et Kilauea) : les édifices sont représentés par des noyaux élastiques denses (modules d’Young 100 GPa, coefficient de Poisson 0,25, masse volumique 2900 kg/m3) et une couverture élasto-plastique légère (module d’Young 60 GPa, coefficient de Poisson 0,25, cohésion 1 MPa, angle de frottement interne 15°, masse volumique 2600 kg/m3) ; les paramètres élastiques sont déduits par tomographie sismique, les paramètres plastiques sont déduits d’essais sur les échantillons de forages profonds effectués sur le Kilauea. Le plan de décollement est représenté par un interface qui suit une loi de frottement de Coulomb (angle de frottement interne 10°). La croûte océanique est représentée par un matériau élasto-plastique (module d’Young 100 GPa, coefficient de Poisson 0,25, cohésion 1 MPa, angle de frottement interne 15°, masse volumique 2900 kg/m3). La déformation plastique effective (norme quadratique du tenseur déviatorique des déformations plastiques) est représentée en couleur. Le critère de plasticité utilisé est le critère de Drücker-Prager, suivant lequel la résistance de la roche croît avec la contrainte moyenne (d’après Got et coll., 2008).

Rôle de la distribution des masses et de la rhéologie dans la déformation interne de l’édifice et l’interaction édifice/croûte océanique – cas des grands volcans hawaiiens actifs.

La localisation en doubles-différences de la sismicité de l’île de Hawaii enregistrée entre 1989 et 1999 a permis de mettre en évidence les grands traits structuraux actifs de l’île, notamment l’existence de grands plans de décollement sub-horizontaux et sismiques à une profondeur comprise entre 8 et 11 km de profondeur respectivement sous le Kilauea et le Mauna Loa (Got et al., 1994, 2003, 2008). La tomographie sismique a permis de mettre en évidence l’existence de noyaux rapides et denses au niveau des appareils éruptifs (calderas et rifts, Monteiller et al., 2005), environnés par une couverture plus lente et moins dense, constituée par les apports effusifs de surface progressivement enfouis. Un détail intéressant de la sismicité du flanc Sud était constitué par un plan de faille inverse situé dans la croûte océanique qui limitait la structure sismogène au Sud. La modélisation mécanique de la structure complète du flanc Sud du volcan à partir de la distribution des masses issues de la tomographie sismique, avec un noyau dense et élastique rigide environné par une couverture légère et élasto-plastique placés sur une croûte océanique élasto-plastique permet de mettre en évidence une zone de cisaillement possible dans la croûte océanique (Got et al., 2008 ; Figure). Cette modélisation permet également de mettre en évidence des zones plastifiées entre le Mauna Loa et le Kilauea (région siège d’une intense sismicité notamment suivant un système de failles verticales) ainsi qu’en surface dans le flanc Sud (correspondant aux escarpements de faille de Hilina Pali). On voit donc que les structures actives assez complexes de cette région peuvent être expliquées par la distribution des masses et des caractéristiques mécaniques (élastiques et plastiques) dans l’édifice et la croûte océanique, avec un chargement très simple, uniquement gravitaire ; la non-linéarité de la déformation, et sa localisation, sont expliquées par la non-linéarité de la rhéologie et la distribution géométrique des propriétés mécaniques, et non pas par un chargement complexe de la structure.

 

Rôle de la rhéologie dans la déformation du Piton de la Fournaise : interaction fluide-structure et résistance de l’édifice.

Figure 4 :
Amplitude du déplacement calculé, suivent une coupe verticale E-W, pour différentes phases de chargement de l’édifice volcanique (Piton de la Fournaise), au cours d’un cycle éruptif (d’après Got, Peltier, Staudacher, Kowalski, Boissier, 2013).
(a) période inter-éruptive : l’édifice élasto-plastique ( = 30°, C = 1 MPa) est chargé par un réservoir elliptique pressurisé (surpression : 5 MPa, altitude : 500 m, rayon : 500 m, hauteur : 250m) localisé sous le cratère Dolomieu ; Durant cette période la déformation est limitée au cône sommital.
(b) Eruption sommitale/proximale : l’édifice élasto-plastique ( = 30°, C = 1 MPa) est chargé par un dyke vertical pressurisé (surpression : 10 MPa), qui induit une deformation faible en dehors du cône sommital.
(c) Début d’une éruption distale : déplacement de grande amplitude du flanc Est vers l’Est ; l’édifice élasto-plastique ( = 15°, C = 1 MPa) est chargé par un dyke vertical pressurisé (surpression : 5 MPa) localisé dans la partie Est du cratère Dolomieu.
(d) Fin d’une éruption distale : déflation sommitale, migration du magma vers l’Est, et déplacement de grande amplitude du flanc Est vers l’Est. Le déplacement vers l’Est de la phase (c) cause la dépressurisation du réservoir, la déflation sommitale et la propagation du magma vers l’Est.

La déformation de surface mesurée en continu par GPS au Piton de la Fournaise entre 2004 et 2007 a permis de mettre en évidence un cycle éruptif (Peltier et al., 2008), comportant un certain nombre d’éruptions dans l’édifice sommital et se terminant par une éruption dite distale, pendant laquelle le magma se propage d’abord verticalement sous l’édifice sommital, puis horizontalement pour déboucher à faible altitude loin du sommet. Ce cycle correspond à un cycle de contraintes, pendant lequel la contrainte horizontale croît lors des périodes inter-distales et se relâche pendant l’éruption distale, lorsqu’un seuil en contrainte est atteint (travail en cours de publication, Got, Peltier, Staudacher, Kowalski, Boissier). Aussi bien la dynamique cyclique du processus que la distribution spatiale des déformations, très asymétrique, montrent que la rhéologie de l’édifice ne peut pas être purement élastique, mais est nécessairement élasto-plastique. Lorsque le seuil de plasticité est atteint le déplacement du flanc Est peut être grand, suffisant pour relâcher la contrainte horizontale sommitale et provoquer l’effondrement du sommet, permettant la propagation horizontale lointaine du magma, observée pendant les distales. La modélisation élasto-plastique des déformations de l’édifice permet de retrouver la complexité et l’amplitude des déformations du flanc Est, avec un chargement très simple (dyke vertical sous pression, par exemple). L’interaction magma-édifice, et la forme que prend la résistance de l’édifice avec l’existence d’un seuil en contrainte permet de comprendre la quantification de l’émission du magma à la surface par des éruptions discrètes et rapides – dont la dynamique est contrôlée par la rupture de l’édifice - alors que la variation de la production du magma dans le manteau est un processus à plus grande constante de temps.