Quand la déformation stocke l’eau dans les profondeurs de la Terre
En tant que composant caractéristique de la planète Terre, l’eau participe à de nombreux processus géologiques tels que la fusion partielle, les minéralisations et le déclenchement des séismes. C’est pourquoi il est fondamental de comprendre les mécanismes de concentration - ou de distribution - des fluides aqueux au sein de la Terre Solide. A faible profondeur (< 10 km), il est maintenant admis que les failles conditionnent la circulation des fluides, soit en fournissant un réseau de conduits hydriques, soit par pompage sismique. Mais au-delà, l’augmentation de température implique une déformation ductile (ou plastique) des roches, rendant la présence de failles très peu probable. Dans ces conditions, les zones d’intense déformation ductile, ou bandes de cisaillement, sont pressenties comme acteur principal de la concentration des fluides [1] [2]. Pour autant, un tel processus de concentration n’a été jusque là identifié que dans la croûte moyenne ou profonde, et les mécanismes impliqués restent encore aujourd’hui très débattus et mal compris.
Plusieurs scientifiques de divers laboratoires français dont l’ISTerre, l’ISTO (CNRS / Université d’Orléans / Bureau de Recherches Géologiques et Minières) et Géosciences Rennes (CNRS / Université Rennes 1), ainsi que de l’entreprise Bruker en Allemagne, ont très récemment démontré que les bandes de cisaillement peuvent "dynamiquement" pomper l’eau adjacente pendant leur déformation, et ce dans les conditions du manteau lithosphérique. Grâce à une étude détaillée de la fabrique minérale de l’olivine dans les péridotites de Ronda (Chaîne des Bétiques, Espagne), ils ont pu caractériser une augmentation systématique et multi-échelles de la teneur en eau aux abords des roches intensément déformées. En effet, en fonction des teneurs en eau intra-crystalline, la plasticité de l’olivine implique différents systèmes de glissement qui chacun génère une fabrique minérale caractéristique, à savoir une orientation préférentielle du réseau cristallin des grains qui composent une roche. Telles que définies expérimentalement [3] [4], la déformation de l’olivine génère ainsi une fabrique de type A ou D dans des conditions anhydres ou peu hydratées, alors qu’elle produit une fabrique de type E ou C dans des conditions hydratées.
Au sud-ouest du massif de Ronda [Fig.1A], des péridotites (roches du manteau supérieur) sont affectée par plusieurs complexes de bandes de cisaillement ductiles qui alternent en degrés d’intensité depuis des protomylonites (faible déformation) vers des ultramylonites (intense déformation), en passant par des mylonites (degré de déformation intermédiaire) [Fig.1B et 1C]. Ces différents degrés se traduisent aussi par une réduction globale de la taille des grains avec l’intensification de la déformation [Fig.1C]. En s’approchant des complexes dans le protolithe, la fabrique de l’olivine évolue tout d’abord depuis le type D/E (fruit d’une combinaison entre les types D et E) vers le type E. Puis à travers les complexes, ces deux fabriques se distribuent entre les protomylonites (type D/E), le cœur des mylonites (type D/E), et le bord des mylonites autour des ultramylonites (type E) [Fig.1D]. Quant aux ultramylonites, la faible fabrique de l’olivine (J < 2 et M < 0.1 ; Fig.1D) ne permet pas d’en déduire objectivement sa géométrie. Cependant, la présence d’amphiboles et de cracks induit par pression de fluide témoigne d’une forte concentration en eau, respectivement dans les ultramylonites et au centre des complexes mylonitiques. Ces observations montrent que pendant la déformation ductile, l’eau s’est progressivement accumulée autour des ultramylonites, générant une stratification de péridotites de plus en plus anhydres (type E → type D = type D/E) et d’autres de plus en plus hydratées (type E). Cette accumulation nécessite l’intervention d’un mécanisme dynamique pour pomper l’eau vers les ultramylonites (Fig.1E), et ce sur le long terme (plusieurs décennies, voire siècles) compte tenu des « très lentes » vitesses de déformation géologiques. Plusieurs observations suggèrent aussi que ce pompage résulte de la production de micro-cavités induites par la déformation dans les ultramylonites, permettant ainsi de stocker l’eau au cœur des roches ductiles et intensément déformées.

Cette actualité a également été relayée par
> l’Institut national des sciences de l’univers (INSU)
– Source
Water pumping in mantle shear zones, Précigout J., Prigent C., Palasse L. & Pochon A., Nature Communications 8, 15736, juin 2017, doi : 10.1038/ncomms15736.
– Contact scientifique à ISTerre
Cécile Prigent
[1] Fusseis, F., Regenauer-Lieb, K., Liu, J., Hough, R.M. & De Carlo, F. Creep cavitation can establish a dynamic granular fluid pump in ductile shear zones. Nature 459, 974-977 (2009).
[2] Menegon, L., Fusseis, F., Stünitz, H. & Xiao, X. Creep cavitation bands control porosity and fluid flow in lower crustal shear zones. Geology 43, 227-230 (2015).
[3] Bystricky, M., Kunze, K., Burlini, L. & Burg, J.-P. High shear strain of olivine aggregates : rheological and seismic consequences. Science 290, 1564-1567 (2000).
[4] Katayama, I., Jung, H. & Karato, S.-I. New type of olivine fabric from deformation experiments at modest water content and low stress. Geology 32, 1045-1048 (2004).