Retracer la composition chimique des paléo-océans

Afin de retracer à terme la composition chimique des paléo-océans, une équipe de chercheurs d’ISTerre, du Laboratoire de géologie de Lyon - Terre, planète, environnement (LGL-TPE) et du European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) a cartographié la composition en éléments traces de coccolithes fossiles pour connaître leur composition chimique.

Rapport élémentaire Mn/Ca et Sr/Ca (mmol/mol) de deux coccolithes (W.britannica).
Les deux éléments montrent une organisation suivant l’organisation cristalline des coccolithes mais Mn est inféodé uniquement à certains cristaux alors que Sr est présent dans tous les cristaux.
© Suchéras-Marx et al., 2016
© Suchéras-Marx et al., 2016

Les coccolithes sont de petites (5-10 µm) pièces calcaires composant le squelette (coccosphère) d’algues marines unicellulaires et photosynthétiques. Ces algues, apparues il y a environ 230 millions d’années (Trias supérieur), sont les plus importants producteurs de carbonate pélagique dans les océans actuels et anciens. Leur composition géochimique est à l’heure actuelle mal connue, en raison de leur petite taille, mais la mesure de certains éléments traces, effectuée récemment sur les tests d’espèces actuelles (coccolithophoridés), montrent que ces tests enregistrent les caractéristiques de l’eau de mer (température, salinité, pH…) à partir de laquelle ils sont secrétés.

L’originalité du projet a été d’utiliser l’instrumentation propre au rayonnement Synchrotron (ligne ID22NI), la micro-fluorescence X, dans le but de comprendre la chimie et la répartition de ces éléments dans l’ultrastructure du test. Les chercheurs ont choisi d’étudier en premier lieu des coccolithes du Jurassique moyen (170 millions d’années) car cette période correspond à l’émergence de la production carbonatée pélagique. Cela a pour effet de changer profondément la chimie des océans (en termes d’état de saturation des carbonates) et de transférer des quantités importantes de carbonates aux archives sédimentaires océaniques.

 
 
 
 
 
 
 

Rapport élémentaire Fe/Ca (mmol/mol) et schéma en coupe d’un coccolithe.
Le Fe est concentré sur des contaminations au centre du coccolithe et dans des recristallisations sur ses bordures.
© Suchéras-Marx et al., 2016

La micro-fluorescence X réalisée à haute résolution (i.e. 100 nm x 100 nm) avec une énergie incidente du faisceau de 17 keV a permis d’obtenir les résultats significatifs suivants :
 14 éléments identifiés et cartographiés (S, Cl, K, Ca, Ti, V, Cr, Mn, Fe, Cu, Zn, Br, Rb et Sr) dans le réseau cristallin de coccolithes isolés de l’espèce fossile Watznaueria britannica.
 Valeurs de concentrations relatives de chaque élément chimique par rapport au Ca en mmol/mol calculées pour la première fois pour des coccolithes mésozoïques.
 Mise en évidence de 3 types d’organisation pour les éléments traces dans le réseau cristallin : 1) périphérique et centrale pour K, Ti, V, Cr, Fe, Cu, Zn et Rb, liée à une contamination par les argiles et/ou recristallisation diagénétique ; 2) géométrique pour Ca, Sr et Mn et dépendante de l’organisation cristalline suggérant un contrôle biologique sur l’incorporation des éléments ; 3) homogène pour Cl, du Br et du S. Ces éléments seraient des impuretés incorporées durant la coccolithogénèse ; avec une concentration dans la calcite dépendante de la composition du cytoplasme de l’algue. Le Cl/Ca mesuré sur les coccolithes est directement lié à l’eau de mer ; il n’y a pas d’évidence de la diagenèse sur la répartition de cet élément et il pourrait constituer un "proxy" intéressant de la salinité qui devra être exploré dans des études ultérieures.

Prochaine étape : tester le "proxy" salinité par une calibration faite sur un panel d’espèces actuelles (en culture ou in situ) et fossiles afin de faire la part entre ce qui est du signal de l’eau de mer/salinité et ce qui est du taux d’incorporation différentiel du chlore en fonction des faces de croissance cristalline comme cela est observé dans les calcites abiotiques.

Contact scientifique à ISTerre :
Fabienne Giraud

Source
Perspectives on heterococcolith geochemical proxies based on high-resolution X-ray fluorescence mapping, Geobiology, 10 février 2016. DOI : 10.1111/gbi.12177