Comment déterminer l’origine du plomb provenant de sources multiples ? Nouvelle approche statistique

Déterminer l’origine des matériaux terrestres est une question scientifique de tout premier plan qui concerne de très nombreuses disciplines. Elle se pose aux géochimistes qui cherchent à comprendre l’origine des roches au cours de l’histoire de la Terre ; elle est au cœur des recherches des archéologues qui tentent de déterminer les mouvements de populations et elle est l’une des approches préférées des chercheur·ses qui tentent de reconstituer les conditions climatiques du passé ou l’impact des sociétés humaines sur leur environnement.

De nombreux traceurs chimiques ou isotopiques sont utilisés à ces fins mais l’étude des variations de concentration et de composition isotopique du plomb est l’un des outils les plus performants pour une large gamme d’applications. En effet, le plomb possède quatre isotopes dont un seul (204Pb) est stable alors que les trois autres (206Pb, 207Pb et 208Pb) résultent de la désintégration radioactive naturelle de 232Th, 235U et 238U avec des demi-vies très différentes. La signature basée sur la combinaison des trois rapports isotopiques (206Pb/204Pb, 207Pb/204Pb et 208Pb/204Pb) d’une source est donc unique. Si le système étudié est relativement simple et que l’on ne soupçonne que deux ou trois sources potentielles, les proportions et rôles respectifs de ces sources peuvent donc facilement être contraints en combinant les trois rapports isotopiques du plomb.

Séparation chimique du plomb pour analyse isotopique
Crédit : Dan Veres

Les choses se compliquent quand le nombre de sources potentielles augmente car le système de mélange devient alors sous-déterminé et mal contraint. Pour aborder de tels cas, des outils statistiques élaborés permettant de traiter de grands nombres de données existent et sont utilisés par la communauté des biologistes travaillant par exemple sur les sources alimentaires multiples des prédateurs. Ces modèles de mélanges de type bayésien n’ont jamais vraiment été utilisés dans les domaines de l’archéologie, de la sédimentologie ou de la paléoclimatologie.

Tourbière en Roumanie
Crédit : Jack Longman

Dans l’article publié dans Scientific reports, un groupe de chercheur·ses anglais·es, roumain·es et français·es explorent les possibilités offertes par un traitement bayésien de modèle de mélange en prenant trois exemples publiés dans la littérature :

  • les sources de poussières présentes dans des échantillons environnementaux pré-anthropiques,
  • l’exploitation de minerai pendant la période romaine,
  • et enfin la source du plomb dans un artefact minier romain.

La nouvelle approche permet de mieux comprendre et de quantifier les variations de sources de Pb en lien avec les conditions climatiques au cours de périodes pré-anthropiques, lorsque le cycle naturel du Pb dominait. Elle permet aussi de mieux caractériser l’origine des pollutions anthropiques de la période romaine. Enfin, son application à l’étude archéométrique met, quant à elle, en évidence la contribution de Pb provenant de mines roumaines, hypothèse précédemment mentionnée mais jamais prouvée.

Cette approche prometteuse peut être appliquée à une large gamme de problèmes scientifiques et fournit une nouvelle méthode pour déterminer de manière robuste les sources de Pb observées dans des roches ou matériaux d’origines et âges variés.


Cette actualité a également été relayée par
> l’Institut physique du globe de Paris (IPGP)

 Source
Quantitative assessment of Pb sources in isotopic mixtures using a Bayesian mixing model. Longman J., Veres D., Ersek V., Phillips D., Chauvel C. and Tamas C. (2018). Scientific Reports 8(1) : 6154, doi : 10.1038/s41598-018-24474-0.

 Contact scientifique local
Catherine Chauvel