Des séismes qui se répètent tous les 8 mois le long de la faille de Marmara

La faille de Marmara qui passe sous la mer de Marmara à proximité de la mégapole d’Istanbul est une zone de risque sismique majeur puisqu’un séisme important est attendu sous peu. Des chercheurs de l’Institut des sciences de la Terre, de l’Institut de physique du globe de Strasbourg et de l’Observatoire de Kandilli viennent de montrer pour la première fois que de petits séismes se répètent à l’identique sur la faille tous les 8 mois depuis au moins 8 ans. Ils apparaissent dans une région profonde de la faille où d’importants mouvements asismiques ont été suspectés au cours des dernières années. De façon tout à fait surprenante, le glissement cumulé de ces événements répétitifs correspond au déplacement tectonique sur la faille Nord-Anatolienne. La faille de Marmara pourrait donc avoir un comportement en fluage plus important que prévu, ce qui réduirait l’estimation du risque sismique pour la région d’Istanbul.

La faille anatolienne nord (FNA) présente un risque sismique important pour les grandes villes situées autour de la région de la mer de Marmara et tout particulièrement pour la mégapole d’Istanbul. En effet, un long segment de cette faille est actuellement très proche de la rupture. Il s’agit d’une lacune sismique d’environ 150 km de long correspondant à la faille principale de Marmara (MMF). Depuis le séisme d’Izmit en 1999 qui a rompu le segment à l’est, un important suivi de l’activité de la faille a été initié à l’aide d’un large éventail de techniques adaptées au contexte d’une grande faille en décrochement recouverte par la mer.
Un des problèmes important pour l’évaluation de l’aléa sismique dans la région est de savoir si la faille de Marmara est totalement ou partiellement bloquée. En effet, le long des segments bloqués, les failles accumulent une énergie de déformation qui se relâche brusquement lors de grands tremblements de terre. En revanche, comme le suggèrent plusieurs études récentes, il existe aussi des segments le long de la FNA qui relâchent une partie de leur chargement tectonique par fluage sans activité sismique importante. Dans ce second mode, l’énergie de déformation accumulée est sensiblement réduite.

Afin d’obtenir des informations sur le mode de fonctionnement de la faille de Marmara, des chercheurs de l’IPGS, d’ISTerre et de l’Observatoire de Kandilli se sont intéressés plus spécifiquement aux tremblements de terre répétitifs ("repeaters"), c’est-à-dire aux petits séismes se répétant exactement au même endroit sur la faille.

Les chercheurs ont réussi à isoler neuf groupes de tels événements sismiques très semblables, parmi les milliers d’événements enregistrés lors du suivi de la sismicité du bassin central de la mer de Marmara entre 2008 et 2015. Une importante propriété commune à ces groupes d’événements est qu’ils présentent de fortes corrélations sur une très longue fenêtre de temps (correspondant à leur durée totale). En d’autres termes, toutes les phases des formes d’onde, y compris les arrivées directes, les phases converties et la coda sont extrêmement similaires. La probabilité pour que ces événements proviennent de la même aspérité est donc très grande.
À partir d’une technique d’interférométrie de coda, les chercheurs ont conclu que les événements de chaque groupe sont co-localisés à quelques centaines de mètres près. Leurs mécanismes au foyer semblent également être très cohérents avec le contexte de décrochement de la MMF. Fait intéressant, les phases converties au fond du bassin sédimentaire (à 6 km de profondeur) confirment la localisation profonde de cet ensemble d’événements pourtant tous petits (magnitude Mw entre 1 et 2.5).
L’analyse spectrale a permis aux chercheurs de décrire la mécanique globale de la source de ces événements, à savoir une zone de rupture de l’ordre de 100 m avec une très faible chute de contrainte (environ 10 bars). Cette faible chute de contrainte ainsi qu’une indépendance vis-à-vis des plus grands tremblements de terre régionaux suggèrent que la région est en régime ductile avec un niveau de contrainte élevé. Ceci est également compatible avec la complexité régionale du réseau de failles et la présence d’essaims de séismes.
Toutes ces observations montrent que ces groupes d’événements sont des séismes répétitifs le long de la FNA. L’analyse détaillée de leur chronologie indique l’existence de deux horloges internes :

  • une échelle de temps courte de quelques heures, liée aux séquences intermittentes d’événements comme les répliques possiblement associées à la relaxation post-sismique ;
  • et une échelle de temps longue de 7,6 mois avec une récurrence quasi-périodique liée vraisemblablement à des processus d’accélération du fluage.
Localisation des événements répétitifs (en rouge) dans la mer de Marmara au cours de la période 2008-2015, ainsi que des OBS permanents de KOERI (2011-2012) (triangles jaunes), des stations régionales proches (triangles bleus) et des autres stations sismiques régionales (triangles noirs).
D’ouest en est, les bassins le long de la faille de Marmara (MMF) sont : Tekirdag (TB), Bassin Central (CeB), Kumburgaz (KB) et Cinarcik (CB). Le mécanisme au foyer d’un des événements répétitifs est détaillé et bien cohérent avec le décrochement dextre de la MMF.

Le glissement cumulé de chaque groupe d’événements répétitifs est petit mais reste significatif par rapport au glissement géodésique. Étonnamment, la somme de l’ensemble de ces glissements cumulés concorde avec le glissement géodésique de 23 mm/an mesuré par GPS. Ceci suggère que tous les événements répétitifs appartiennent à une même grande aspérité de 10 km et sont les multiples réponses de sa déformation d’ensemble. Ces résultats confirment qu’une partie importante de la région de Marmara subit un glissement en fluage important ce qui pourrait réduire le risque sismique dans la région.

Source
Schmittbuhl J., Karabulut H., Lengliné O. and Bouchon M.(2016), Long-lasting seismic repeaters in the Central Basin of the Main Marmara Fault, Geophys. Res. Lett., 43, doi : 10.1002/2016GL070505.


Cette actualité a également été relayée par
 l’institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)

Contact à ISTerre
Michel BOUCHON
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