La phase de préparation long terme d’un grand séisme de subduction observée par géodésie spatiale et sismologie
Les mécanismes de préparation des grands tremblements de terre restent mal compris et documentés. C’est pourtant une question cruciale pour parvenir à une meilleure évaluation du risque sismique aux frontières de plaques, à laquelle des chercheurs d’ISTerre, associés à d’autres laboratoires internationnaux Les laboratoires associés : [1], ont tenté de répondre. Deux modèles concurrents ont été proposés pour expliquer la phase de préparation aux grands tremblements de terre : une interprétation proposée est que l’accélération du moment sismique les précédant est déclenchée par un glissement lent sur l’interface, tandis que le modèle alternatif l’explique par une cascade lente de séismes déclenchant finalement le choc principal. Cependant, probablement en raison de la surveillance in situ limitée, ainsi que des limites liées au seuil de détection par les données géodésiques, la phase de préparation des tremblements de terre est généralement étudiée en utilisant uniquement des données sismologiques qui ne captent que la composante sismique de la déformation.
La phase de préparation du séisme en méga-chevauchement de Magnitude 8.1, qui a eu lieu sur la subduction chilienne le 1er avril 2014, est ici analysée. Les études réalisées jusque-là se sont surtout concentrées sur les 15 jours précédant le séisme, où une importante activité sismique a suivi l’occurrence du plus gros foreshock (de Mw6.8), pendant laquelle un très fort signal a été observé. Cependant, les relations entre sismicité et déformation sont encore mal comprises, et peu de choses sont connues sur la possible occurrence d’un précurseur à long terme.

Crédits : Jesus Piña Valdes / Jorge Jara / Anne Socquet
Dans cette étude, il est montré qu’un groupe de stations GPS côtières a subi une accélération vers l’ouest huit mois avant le choc principal (figure 1). Ces déplacements de surface peuvent être modélisés comme un glissement lent équivalent à une Mw6.5 sur l’interface de subduction, localisé autour de la zone qui a rompu par la suite (figure 2). La comparaison avec l’activité sismique sur la même période, indique que ce glissement était asismique à 80% (i.e. silencieux). Quinze jours avant le séisme, le plus gros foreshock de la séquence a lieu, et il est suivi par une forte augmentation de la sismicité et de la déformation associée (figure 1), ce qui suggère qu’une séquence de répliques et d’afterslip se superpose alors au glissement asismique préexistant. Ces observations plaident en faveur une accélération du glissement sur l’interface de subduction qui déclencherait la rupture des petites aspérités sismiques, dont les pré-shocks sont la signature, et finalement la rupture principale.

Sur cette même période de 8 mois précédant le tremblement de terre principal, les données accélérométriques montrent en outre que le contenu fréquentiel des séismes précurseurs (foreshocks) évolue. L’analyse des spectres de Fourier (figure 2), ainsi que l’évolution temporelle des résidus par rapport aux mouvements au sol simulés par les Equations de Prédiction de Mouvements du Sol (GMPEs) (figure 1) montrent que le rayonnement à haute fréquence des foreshocks diminue lorsque le glissement lent s’initie sur l’interface de subduction. De tels changements du contenu fréquentiel des séismes suggèrent que la source de ces séismes évolue progressivement. En réponse au glissement lent de l’interface de subduction, les ruptures sismiques paraissent ainsi devenir de plus en plus lisses et / ou plus lentes Ces observations sont interprétées comme une propagation graduelle des ruptures sismiques au-delà des aspérités sismiques vers les zones métastables environnantes (figure 3). Ceci pourrait constituer le mécanisme de préparation conduisant à la nucléation du séisme principal qui rompt une large zone constituée de plusieurs aspérités, ainsi que des zones métastables qui les relient (figure 3).

Crédits : Anne Socquet
Le forçage asismique lent déclenche donc un nombre accru d’événements sismiques avec un élargissement des surfaces de rupture via une propagation progressive de la rupture vers les zones conditionnellement stables entourant de petites aspérités sismiques, un mécanisme conduisant finalement à la nucléation de rupture principale.
Cette actualité a également été relayée par
> l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS (INSU)
> l’Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble (OSUG)
– Source
Socquet, A., Piña Valdes, J. P., Jara, J., Cotton, F., Walpersdorf, A., Cotte, N., Specht, S., Ortega-Culaciati, F., Carrizo, D., and Norabuena, E. (2017), An 8 month slow slip event triggers progressive nucleation of the 2014 Chile megathrust, Geophysical Research Letters, 44 doi : 10.1002/2017GL073023.
– Contact scientifique à ISTerre
Anne Socquet
[1] GFZ German Reseach Center for Geosciences (Potsdam, Allemagne) / Department of Geophysics, Faculty of Physical and Mathematical Sciences, Universidad de Chile (Santiago, Chili) / Instituto Geofisico del Peru (Lima, Perou).