Travaux à ISTerre : A la rencontre d’un maitre d’ouvrage

Le 12 novembre 2020 marque les prémices de plusieurs travaux et aménagements simultanés dans les locaux grenoblois d’ISTerre. Derrière ces différents chantiers, il y a des enjeux scientifiques importants pour le laboratoire. En effet, celui-ci dispose d’un délai de 4 mois pour réaliser les locaux qui vont accueillir un ensemble d’équipements neufs à la pointe de la recherche en géochimie. Nous sommes partis à la rencontre de Bruno Lanson et de Fabrice Brunet pour découvrir les coulisses de grands travaux effectués dans un laboratoire de recherche.



Bruno Lanson

Directeur de Recherches au CNRS. Minéralogiste.

Intervient en tant que Chargé de mission patrimoine de l’ISTerre.



Fabrice Brunet

Directeur de Recherches au CNRS. Géologue.

Intervient comme Directeur Adjoint en charge des plateformes et de la recherche transverse.

Bonjour Bruno, bonjour Fabrice. Est-ce que vous pourriez commencer par nous présenter les travaux menés actuellement à ISTerre ?

Bruno Lanson (BL) : "L’ensemble des travaux en cours découle de la création d’une salle blanche (ISO 8) pour accueillir les spectromètres du projet Meet porté par Alexander Sobolev dans le cadre de l’ERC Synergy grant. L’implantation de cette salle blanche dans des locaux préalablement occupés a engendré deux projets « annexes » : Le déménagement de la salle de broyage dans des locaux nouvellement aménagés, et le déménagement des expériences « haute pression » vers l’ancien laboratoire « Derviche Tourneur Sodium » qu’il a également fallu réaménager à cet effet. En parallèle, et pour essayer d’optimiser les équipements de traitement de l’air et de climatisation, il a été décidé de démarrer les travaux d’aménagement d’une salle propre pour les attaques acides
et les séparations isotopiques prévue de longue date en remplacement de locaux techniques similaires vétustes situés au 3e étage. L’ensemble de ces projets est mené de front."


Quels sont les objectifs et les perspectives de ces chantiers ?

Fabrice Brunet (FB) : "Les bâtiments du laboratoire ont connu, il y a quelques années, une première phase de travaux de construction/rénovation de grande ampleur qui a conduit à la réalisation d’ateliers neufs pour le service SIG (Service Instrumentations Géophysiques), au déménagement de l’administration dans de nouveaux bureaux du RDC et à la construction de l’amphi Kilian. Nous avons profité de l’obtention par Alexander Sobolev, professeur UGA, d’un financement ERC synergy (MEET) pour investir avec l’Université dans la réalisation d’une nouvelle
phase de gros travaux. L’objectif ici est de réaliser des espaces techniques spécifiques pour accueillir de nouveaux projets de recherche qui utiliseront des instruments de pointe en géochimie analytique. Ensuite, ce projet de rénovation/construction a été l’occasion de remettre entièrement à neuf notre atelier de préparation d’échantillons de roche et d’achever la construction d’une salle de chimie propre qui était en standby depuis plusieurs années. On parle des locaux mais il faut aussi garder à l’esprit qu’il y a des personnels qui vont travailler dans ces espaces techniques. La rénovation/construction est aussi l’occasion de revoir, avec les personnels concernés, les conditions d’hygiène et de sécurité qui sont parfois difficiles à mettre en œuvre dans des locaux anciens voire vétustes."



Chantier MEET
Phase de démolition
Chantier MEET
Phase de construction

Chantier MEET
Phase de construction
Chantier salle blanche
Phase de construction

Chantier salle blanche
Phase de construction
Chantier Broyage
Reconstruction terminée

Chantier Broyage
Emménagement dans les nouveaux locaux



Quel est votre rôle au sein de ces chantiers ?

BL : "Je suis en charge du suivi des travaux. J’assure donc l’interface entre les utilisateurs finaux, que je représente, la maitrise d’ouvrage (Univ. Grenoble Alpes) et la maitrise d’œuvre (Pi Install). Ma mission consiste à fournir des réponses rapides à toutes les sollicitations de la maitrise d’œuvre pour assurer la progression continue du chantier. Je participe également aux réunions hebdomadaires de suivi de chantier, et j’assure le transfert d’informations vers les personnels de l’ISTerre, en particulier pour ce qui concerne les nuisances pouvant les affecter (accès, bruit, …) ainsi que toutes les demandes d’éclaircissement de la maitrise d’œuvre auxquelles je ne sais pas répondre ou pour lesquelles j’ai besoin de l’avis de l’utilisateur final."

FB : "Du fait de ma délégation de directeur aux plateformes, j’ai coordonné avec Philippe Roux, directeur d’ISTerre, la définition du projet de travaux et d’aménagement. Cette phase amont a fait l’objet de concertations, pendant le premier confinement, avec les responsables d’équipe et de plateforme ainsi qu’avec les personnels chercheurs et techniques qui vont travailler dans ces nouveaux locaux. Alors que Philippe a assuré l’interface avec la direction de la DGD-Patrimoine de l’Université, dans la phase amont de réflexion, je me suis plutôt positionné à l’interface avec les personnels et avec les acteurs de la maitrise d’œuvre dont Bruno. Nous avons dû composer avec des contraintes liées à la rénovation d’un bâtiment existant avec une surface totale imposée. Dans ce cadre, la rénovation de nouveaux espaces implique des concessions de la part de tous et donc des négociations. Dans la phase de réalisation, je me suis éclipsé au profit de Bruno qui travaille au quotidien avec la maîtrise d’œuvre et sollicite la direction lorsque des décisions impactant les personnels du laboratoire doivent être prises."


Comment s’articule le travail sur un chantier entre scientifique et ouvrier ?

BL : "Pour la partie « chantier » proprement dit, l’articulation est minimale, le principal objectif étant que tout le monde cohabite au mieux. De ce point de vue, la réduction du travail en présentiel à l’ISTerre du fait de la Covid a sans aucun doute simplifié les choses en diminuant le nombre de personnes exposées aux désagréments divers d’un chantier important et devant se réaliser dans un temps extrêmement contraint. Ce dernier aspect engendre forcément des malentendus, des incompréhensions ou des demandes inopinées et/ou récurrentes qu’il faut gérer au mieux.
Au préalable, j’ai été impliqué dans la définition du projet pour lequel mon rôle, et celui de la maitrise d’ouvrage d’une manière générale, a été de traduire en termes « chantier-compatible » les besoins des utilisateurs finaux et d’arriver à un projet stable."


De quelle façons ces nouvelles installations vont être bénéfiques à la recherche en science de la Terre ?

FB : "Il faut être clair, ces travaux ont été directement motivés par la réalisation de nouveaux projets de recherche. Notre capacité analytique en géochimie élémentaire et isotopique sur quelques µm³ de matière va être au niveau de celle des plus grands instituts à l’international. En plus du projet MEET, ces équipements vont permettre de développer d’autres projets scientifiques en interne et en collaboration avec d’autres laboratoires. Un premier projet autour de l’imagerie bio-géo-médicale a déjà vu le jour et sera piloté par Laurent Charlet et Alexandra Gourlan. On peut noter que les travaux actuels vont bénéficier à toute la chaîne qui caractérise la géochimie depuis la préparation des échantillons (broyage, sciage, tamisage) collectés sur le terrain, leur préparation chimique pour l’analyse (salle blanche, dissolution, séparation chimique et isotopique) jusqu’à l’analyse élémentaire et/ou isotopique finale très résolue spatialement. Ces trois étapes sont indissociables. Même si la technologie est souvent mise en avant, il faut aussi entretenir les savoir-faire amont indispensables pour passer de l’échantillon prélevé par les chercheuses et les chercheurs sur le terrain à l’analyse isotopique d’une zone de quelques micron-cubes."


Consultez sur notre site web la page du Service Instrumentations Géophysiques (SIG)



A quoi cela sert-il de faire des travaux si conséquents dans un laboratoire de recherche actuellement ?


FB : "Je pense d’abord que c’est un signe de bonne santé pour un laboratoire que d’être capable d’engager et de gérer des travaux de cette ampleur. Notre objectif est d’augmenter notre capacité de recherche et à produire de la connaissance.

Il y a plusieurs façons d’accroître la connaissance. On peut revisiter les données déjà acquises avec un œil nouveau et avec de nouveaux concepts ou on peut acquérir de nouvelles données avec des technologies et des méthodes très élaborées. Avec son énorme potentiel de recherche, un grand centre comme ISTerre peut mener ces deux stratégies de front. A toutes les époques, le développement de la géochimie a été très dépendante de l’évolution des technologies avec des challenges autour de seuils de détection de plus en plus bas et des résolutions spatiales de plus en plus fines, pour analyser, qui plus est, des matériaux de nature très différente (solutions, minéraux, verres, poussières extra-terrestres etc...). L’implémentation de ces technologies de pointe pour l’analyse en géochimie introduit des contraintes sur les locaux en termes de propreté, renouvellement de l’air, température, vibration etc. qui nécessitent souvent des travaux de grande ampleur comme c’est le cas actuellement à l’ISTerre. Maintenant, il est de notre responsabilité que ces équipements pointus localisés dans notre laboratoire soient ouverts à la communauté la plus large et que les données obtenues soient accessibles et publiques. Les contraintes associées aux financements européens nécessitent un peu d’efforts et d’imagination pour que les infrastructures financées bénéficient effectivement à une large communauté, en particulier pendant la durée du projet (5 - 6 ans)."


Comment réaliser des travaux d’une telle ampleur en si peu de temps, avec une activité qui demeure dans les locaux ?

BL : "Avec un investissement temps important de l’ensemble des personnes impliquées et une disponibilité au quotidien. L’objectif premier est de faire en sorte que la maitrise d’œuvre ait toujours rapidement une réponse aux questions posées quotidiennement pour que le chantier ne prenne jamais de retard. L’autre aspect important est de faire en sorte que les ajustements des besoins des utilisateurs finaux soient pris en compte dans la mesure du possible. Cela permet d’offrir in fine un équipement qui répond au mieux aux besoins, parfois évolutifs, de ces utilisateurs tout en maintenant les ajustements dans un cadre financier et temporel fortement contraint."

FB : "En plus de l’exigence concernant la disponibilité et l’efficacité des acteurs pointée par Bruno, la contrainte d’une durée de travaux limitée à trois - quatre mois a entrainé des coûts supplémentaires notamment pour faire intervenir rapidement les différents corps de métier."